Pas pu résister

Il y avait une autre âme qui vagabondait le long du gouffre du diable, tentant dangereusement celui dont il portait le nom. Szèl aimait passer du temps dans cet endroit, simplement parce que les courants aériens qui bataillaient ici étaient d'une force et d'une simplicité époustouflante. Ici l'Air était primitif, brute, d'une puissance galvanisée par les reliefs droits et démesurés. Ici l'Air était facile à manipuler. Il n'y avait besoin de mobiliser ses forces que pour parvenir à canaliser une telle énergie.

Szèl restait donc là calmement, immobile, les yeux clos. Il s'était imprégné de l'endroit. Il savait à chaque instant quel courant d'Air passait, à quel endroit. Bientôt le gouffre exhala un nouveau souffle. Szèl l'attrapa au passage. Concentré, toujours les yeux fermés, il tourna sur lui-même, et le courant d'Air tourbillonna avec lui. Puis le Maître s'immobilisa net et leva la tête, et l'Air éleva en tournant vers le ciel, déchirant les nuages. Puis tout s'apaisa. Enfin, presque tout. Le perlino sentit soudain une perturbation. Quelque chose d'anormal. Il tourna la tête, les oreilles pointées dans cette direction, ses naseaux roses se dilatant régulièrement, unique signe extérieur de l'effort qu'il venait de produire. Alors il partit au petit trot, pour apercevoir tout au bord de la falaise, un étalon gris qui jouait lui aussi avec le vent.

Le perlino sourit faiblement, demi-sourire narquois qu'il arborait souvent. Il se concentra un bref instant, et détourna un courant d'Air pour l'envoyer balayer légèrement l'étalon gris et perturber son petit jeu de vents. L'idée que cela puisse lui déplaire lui traversa l'esprit, c'est vrai. Un instant seulement.

L'étalon perlino fut surpris de voir le gris perdre pied et échapper à une chute vertigineuse d'une poussée des antérieures. Hum. Il n'avait pas prévu qu'un si petit coup de vent, une brise en fait, le ferait basculer comme une feuille morte tombe d'un arbre. Mais il reprit visiblement ses esprits assez rapidement, et son regard noir de colère tomba sur Szèl, qui n'avait pas perdu son sourire moqueur. Il en fallait donc si peu pour le faire tomber ? Il avait intérêt à se méfier, car ce n'était qu'un souffle de printemps par rapport à ce qui pourrait lui tomber dessus.

Le gris s'approcha. Il était un peu plus petit que lui, mais l'étalon perlino ne le sous-estima pas pour autant. L'autre s'approcha, son regard noir planté dans celui, couleur de ciel, de l'étalon crème. Szèl n'essaya pas de fuir ce regard sombre, meurtrier. Au contraire, il scella ses iris clairs aux yeux sombre de l'étalon gris. L'autre s'approcha de lui lentement, comme si chaque pas était mesuré. La tension entre les deux chevaux semblait avoir électrisé l'Air ambiant. Muscles tendus, Szèl s'attendait à tout, et serait près à réagir à la première attaque. L'Air tournoya, frôlant le sol et soulevant la poussière qui recouvrait ce désert de pierres rousses et grises. Puis l'autre parla. Et spontanément, Szèl laissa un échapper un ricanement moqueur. Ses yeux azur plongèrent au plus profond des deux lacs noirs qu'étaient ceux de l'autre. Et sa voix, claire et enveloppante, s'accrocha au vent et tournoya jusqu'à l'autre, emplissant le désert rocheux en même temps que ses tympans :

« Vous voir essayer serait réellement divertissant. Ne vous privez pas, je vous en prie. »

Il n'y avait plus ici de moquerie. Il s'agissait presque d'un avertissement. A tes risques et périls, cher sujet.