Sur le flanc d'une montagne paissaient plusieurs chevaux. Certains parlaient comme parlent les chevaux, qui, somme toute, sont des êtres assez simples et sensibles, du moins le ventre plein et le passé joyeux. Il existe, bien sûr, des chevaux d'une grande cruauté, mais ces vilaines créatures ne fréquentaient pas les prairies joyeuses. D'autres se contentaient de somnoler au soleil ou de manger l'herbe. Cette année-là, l'hiver s'était éternisé au-delà de ses limites, et la nourriture restait en bien des endroits chiche et sans goût. Mais les flancs de la montagne sont hospitaliers, et l'herbe qui y pousse et vive et fraîche. C'est pourquoi beaucoup de monde y vient. A l'écart des autres, un imposant cheval se tenait. C'était -osera-t-on prononcer son nom ?- le Bâtard.

Le Bâtard n'avait pas d'autre nom que celui-là, et cela semblait convenir à tout le monde. Dans le clan du Feu, il ne serait venu à personne l'idée de le renommer, et quand bien même une brave personne aurait essayé, le bâtard s'y serait opposé. C'était un croisement de deux clans, Air et Feu, et, par conséquent, il n'était pas très aimé. Mais c'était aussi un solide étalon, travailleur, assez courageux et sachant se battre ; de plus, il ne faisait pas preuve d'une cruauté gratuite ; alors, à défaut d'être aimé, il était respecté.

Le Bâtard se tenait à l'écart parce que personne ne voulait manger près de lui ou s'afficher à ses côtés, et il n'en blâmait justement personne. Bien sûr, toute créature ayant un cœur aimerait un peu de compagnie ; mais enfin l'herbe était bonne, le soleil enfin là, et il avait l'habitude de la solitude. De plus il se méfiait des êtres du feu car quelques uns lui avaient déjà joué de fort vilains tours dont il gardait un souvenir cuisant.

Puisque le décors est ainsi jeté, il est temps pour un autre d'entrer en piste.