A peine Danaé avait-elle posé un sabot sur le sol dur du refuge qu'elle savait déjà que ce soir-là promettait d'être extrémement intéressant. Le Soleil venait tout juste de se coucher, laissant la place au premier croissant de Lune du mois, trônant ce soir dans un ciel sans nuage. La soirée était à peine entamée, mais déjà, les lieux et ses habitants semblaient s'être endormis en silence. Le plus agréable ici, c'était que tout semblait rester calme et paisible, quelque soient les circonstances : le Refuge de Poséidon ne pouvait être mieux nommé. D'autant qu'il avait déjà rendu de loyaux services à nombre d'habitants du Royaume de l'Eau et d'ailleurs : lorsque le temps commencait à se faire capricieux, l'on pouvait être sûr que la grotte nous ouvrirait grand ses portes pour se réfugier en son sein. Ses récents locataires avaient même laissé quelques traces de leur passage, plus ou moins volontairement. Des odeurs de prédateurs, très faibles maitenant. Quelques pois bruns, gris, blancs, ou noirs, parfois mêlés à quelques crins. Des excréments de lapins, et d'oiseaux. Et parfois aussi de petites tâches de sang séché sur la pierre.

Bref, si la jeune rouanne y était entrée quelques minutes plus tôt, avec sa bulle d'eau toujours flottant à ses cotés, c'était dans un but bien moins primaire que celui de se réfugier de quelque chose ou quelqu'un. Pourtant loin d'être insomniaque, elle n'avait pas réussi à fermer l'oeil : une question la taraudait et ne voulait pas quitter son esprit. Surement s'était-elle trop enracinée, au point où seule une réponse permettrai d'enfin retrouvait une certaine quiétude. Danaé s'enfonça un peu plus loin dans la grotte, mais il y faisait bien trop noir pour qu'elle puisse tenter de réaliser son projet. Alors elle fit demi tour pour revenir vers l'entrer du refuge, ou le croissant de Lune pouvait encore l'éclairer. Puis se mit à la recherche d'une pierre de taille raisonnable. Celle dans le coin là-bas, de la taille d'un crâne de jeune équidé, ferait parfaitement l'affaire de notre fille de l'Eau.

Sa bulle d'eau se divisa en plusieurs fines tentacules, qui s'enroulèrent autour de la pierre, à la manière des serres d'un oiseau de proie. Danaé ordonna à son élément de s'élever dans les airs, en emportant la pierre avec lui, mais ne parvint à déjouer la gravité que sur quelques centimètres. La pierre s'en était élevée d'une dizaine, avant de retomber lourdement sur le sol. La rouanne récupéra vite l'eau qui s'éparpillait par terre et la regroupa de nouveau en une autre boule d'eau. Il faut apprendre à ne pas gâcher d'une tentative sur l'autre ! Elle tourna la tête vers le ciel, et observa les étoiles. Quelque chose de doré traversa le noir à une vitesse incomparable, et elle se surprit à se demander si cette étoile filante était un signe d'encouragement à son égard. Alors la jument repris sa manœuvre, avec une pierre un peu plus petite cette fois-ci. Une fois de plus, les tentacules d'eau s'enroulèrent autour de leur "proie", et s'élevèrent. Difficilement certes, mais surement, l'eau arracha la pierre du sol et la fit léviter avec elle. Des gouttes de sueur perlaient déjà sur le poitrail de Danaé, alors elle lâcha totalement son emprise, et eau & pierre tombèrent sur le sol en un bruit effrayant, répété en écho jusqu'au plus profond de la grotte.

Tout de même, que cela était bon d'expérimenter de toutes nouvelles choses !

Des bruits de sabots se firent entendre. Il venaient du fond de la grotte, et suivait le schéma parfaitement reconnaissable du galop. Tagadam Tagadam Tagadam. Alors un autre mammifère avait lui aussi décidé de passer sa nuit au Refuge ? Le bruit des pas semblait trop lourd pour qu'il s'agisse d'un chevreuil : le plus vraisemblable était qu'il s'agissait d'un autre équidé. Mais qui donc ? L'inconnu n'était pas encore assez proche pour que son odeur vienne chatouiller les naseaux de Danaé, mais vu la rapidité à laquelle chaque sabot se posait, il arriverait bientôt à l'entrée, se dévoilant aux yeux de la rouanne. Soudain, le grand bruit s'arrêta, remplacé par le son du pas, nettement plus agréable à l'oreille. Une ombre très légère, il faisait nuit tout de même, se découpa contre la pierre. Floue et très peu marquée, elle devait venir de l'équidé en approche, qui commençait à passer sous les rayons de la Lune.

Une très jeune jument palomino émergea des pierres. Le corps en sueur, surement parce qu'elle avait couru sur une grande distance, et la pas hésitant. L'inconnue paraissait au comble de la nervosité, et Danaé ne put s'empêcher de la détailler des oreilles aux sabots. Malgré la transpiration qui tachait sa robe, l'autre jument avait belle allure. Un corps bien dessiné, des poils et des crins clairs, une liste bien définie, et un petit museau rose. Encore une qui plaira beaucoup à la gente masculine une fois dans la fleur de l'âge. Elle s'approcha de la rouanne, et la salua :

- Bon... Bonjou... Bonjour...

Elle paraissait vraiment vraiment nerveuse. Sur le coup, c'est vrai que Danaé la regarda de travers. Pour être aussi gênée, il y avait de grandes chances pour qu'elle ne soit pas d'ici. Peut-être même une envoyée du Royaume de l'Air ! Cela ne se passerait pas comme cela. De plus, son odeur était caché par un petit je-ne-sais-quoi, qui empêchait de déterminer son appartenance à l'un des Royaumes. La question demeurait donc en suspens, mais pas pour longtemps, puisque la rouanne embraya de suite :

- Danaé, du Royaume de l'Eau. Mais qu'avons nous là ? dit-elle en désignant du museau la palomino.

Elle commença à décrire un cercle autour de l'inconnue pour la voir sur tous les angles. Quitte à peut-être mettre l'autre mal à l'aise. Mais rien à faire, impossible de saisir son odeur. Surement n'avait-elle pas côtoyé les membres de son Royaume depuis longtemps. Après ses quelques secondes d'observation, son cercle était presque bouclé, et elle revint à sa position initiale.

- Qui est-tu ? reprit-elle. Une fille de l'Eau, du Feu, de la Terre ou même ... de l'Air ?

Elle plissa les yeux, méfiante. En cette période où la paix demeurait incertaine, mieux valait prendre toutes les précautions possibles et nécessaires .Au loin, un hennissement, qui fit sursauter Danaé. Elle quitta l'autre jument des yeux pour porter son regard au dehors. Mais rien. Rien d'autre que la nuit noire, les arbres immobiles, et les pierres sur le sol.