Les marécages ont toujours été son endroit préféré. Quelque part, ce lieu est celui qui lui correspond le mieux. Les arbres rachitiques couverts de mousse, l'eau vaseuse d'un vert douteux, l'odeur nauséabonde et cette brume toujours présente, pesante et opaque. Un lieu comme celui-ci, personne ne l'aime pour sa véritable valeur. La plupart des gens n'en voit que cette apparence peut attractive. Ils n'en voit pas sa véritable beauté. La jument aimait ces lieux car derrière ce marécage dangereux et mystérieux se cache un lieu magnifique et quelque part, magique. Debout, ses membres plongés de moitié dans la vase, les longs doigts effilés d'un vieux saule caressant son dos, elle guettait attentivement l'horizon. Ses yeux d'un bleu azur se mirent à briller de cette étincelle qu'elle ne possédait que rarement. Le soleil descendu vers l'horizon, s'apprêtait à disparaitre. Sa lueur encore chaude inonda les marécages. Et comme par magie l'atmosphère inquiétante et dangereuse des marécages disparue. Les créatures de la nuit se réveillaient, les lucioles entamaient leurs danses destinées à la lune et la jeune jument laissa paraitre un léger sourire au coin des lèvres. C'est comme ça qu'elle aimait cet endroit.

Un soupir souleva ses flancs et son regard parcourra les environs. Ses naseaux frémirent, une odeur étrangère à ces lieux venait de se faufiler parmi l'odeur vaseuse des environs. Secouant son encolure elle s'avança dans l'eau fraiche et verdâtre. Sans réellement regarder où elle s'avançait, la belle continua sa route avant de remonter enfin sur la terre ferme. Ses sabots s'enfonçaient de peu dans la terre meuble et humide. L'on ne pouvait vraiment dire qu'elle était noire, sa robe couverte de poussière, ses membres recouverts de vase, ses crins étaient tout aussi emmêlés et sales. Une piètre allure pour une jument dont tout le monde s'arrêtait à son apparence. Elle s'était arrêtée, droite, bien campée sur ses membres au milieu de ce sentier. Car inondés par les dernières lueurs du soleil, se tenait face à elle un étalon aux crins dorés.

Surprise fut sa première réaction. Bien que cette émotion fut nullement perceptible sur son visage. Peut-être était-ce le fait de tout ces vagabondages à l'écart des autres. Mais c'était comme faire une immense découverte que de se retrouver face à un équidé dans un lieu comme celui-ci. Cet endroit était aussi son préféré de part son absence de vie équine. Elle croisait rarement de chevaux dans ce labyrinthe de vase et de racines. Il devait donc rester d'autres chevaux du Royaume de l'Eau. Immobile, de son allure altière bien qu'aussi vaseuse que les lieux, elle ne le quittait pas des yeux. Était-il réel ? Parfois la brume nous jouait des tours et s'amusait à vous faire perdre la tête. Elle était pourtant certaine de percevoir une odeur étrangère parmi toute les autres. Alors qu'elle s'interrogeait en silence, il répondit à ses propres questions.

« Ce n'est point un mirage. » Les oreilles de la belle se pointèrent en sa direction, comme voulant capter minutieusement la moindre parole de son interlocuteur. Même si ce ne fut qu'un murmure, elle distingua sa voix grave et, comme pour être certaine de ne pas l'oublier, garda en un coin de sa mémoire la tonalité particulière du timbre de l'entier devant elle. Peut-être pour vérifier plus tard, lors d'une prochaine rencontre, qu'il n'est effectivement pas le fruit de son imagination. Son instinct la poussait à reprendre sa route. Ce n'était pas une asociale dans l'âme, mais elle avait prit pour habitude d'errer seule à sa convenance. Elle devait avoir perdue l'habitude de profiter de la compagnie des autres. Seulement la seule chose capable de vaincre son instinct était à ce jour, sa curiosité. Levant un membre avec douceur, elle fit un pas, puis deux. Avec cette élégance qui lui était si particulière. Ne voulant s'approcher trop près, peut-être de peur qu'une fois trop près il disparaisse, emporté par la brume. Aux dernières lueurs du couché, elle grava dans sa mémoire les détails futiles de cet inconnu. Sa carrure imposante, sa grandeur, ses crins d'un doré très particulier, sa noirceur et son regard charbonneux. Lorsque le soleil disparu enfin, que les étoiles et la lune éclairaient le sentier, les chants des grenouilles se fit entendre. Elle pencha la tête légèrement sur le côté et sa voix suave et claire se glissa avec aisance, brisant doucement le silence. « Qui êtes-vous ? »

« On me nomme, Keïross. » C'est étrange, son nom semblait lui dire quelque chose. Lui en avait-on parlé une fois ? Peut-être quelqu'un lors de ses vagabondages. Devait-il être un ennemi, une personne importante, pour qu'on ai un jour mentionné son nom ? Était-ce une personne à éviter, à rencontrer, à se méfier ? Si seulement elle pouvait faire le tri dans ses souvenirs. La jument plissa quelque peu les yeux, comme pour être sûre de ne pas le perdre de vue dans l'obscurité. Elle chercha encore un moment dans sa mémoire, pourquoi ce nom lui semblait-il avoir été déjà entendu ? Sa queue fouilla l'air, surement du à un agacement de soi-même. Ne pas se rappeler de quelque chose est quelque peu frustrant.

Son regard revint sur lui, le dénommé Keïross se mouva. D'un pas sûr de lui, les muscles saillants glissant sous son pelage aux reflets argentés par la lueur de la lune. Elle ne le quitta pas du regard, le suivant comme si elle eut été sur ses gardes. Ses propres muscles étaient tendus à l'extrême. Comme si le simple geste trop brusque de la part de cet étalon, l'aurait fait partir au quart de tour. Elle n'avait aucune raison de réagir de la sorte, il ne semblait pas sur le point de faire quoique ce soit de potentiellement dangereux pour elle. Il finit par s'arrêter. Elle n'avait plus bougé d'un poil, seuls ses flancs se soulevaient au rythme de sa respiration régulière et calme. Elle se répétait ce nom, Keïross, dans un coin de son esprit, surement pour être sûre qu'il colle bien à l'étalon qu'elle avait à quelques pas d'elle seulement. Sa voix la fit quitter ses pensées.

« Votre nom..? » Elle fit un pas sur le côté, comme si elle eut voulu garder une certaine distance entre eux. « Delliah » Il était fort probable que son nom lui dise quelque chose. Encore aurait-il fallut qu'il eut connaissance de sa famille et de son père Markus. Mais seuls les maitres du Royaume étaient capable de connaitre son père. L'idée qu'il soit un potentiel danger, un membre d'un autre Royaume non allié à celui de l'Eau, lui effleura de nouveau l'esprit. « Êtes vous... » Elle sembla hésiter, était-il convenable que de demander pareille chose à un inconnu. Ce n'était pas si important à savoir s'il était d'ici ou non ? Avait-elle réellement envie de savoir s'il y avait encore du monde sur ces terres ? « Êtes-vous de ce Royaume ? » Finit-elle par lui demander.

Elle perçut son regard perdu sur les marécages. Immobile et de nouveau silencieuse elle attendit. Il semblait presque perdu dans ses pensées, ce fut bref, mais bel et bien visible. Il finit par bouger de nouveau, lui tournant quasiment le dos. La jument pivota doucement et agilement afin de ne plus avoir à tourner la tête vers lui. « Delliah... » souffla t-il. La jument pencha doucement la tête sur le côté. Son nom lui disait-il quelque chose ? Curieuse, elle garda un moment cet air interrogateur qui se mouva bien vite en surprise lorsqu'il eut reprit la parole. « Nous avons une dette envers votre famille... » Alors ainsi, il connaissait les siens. Elle aurait aimé savoir ce qu'il savait au juste, mais il n'avait pas l'air assez âgé -pas plus qu'elle- pour les avoir véritablement connu. Surement des parents à lui lui avaient-ils parlés de l'aide apporté par la famille de Delliah. Elle aurait voulu savoir qui il était pour avoir pu entendre parler d'eux et pour avoir une dette envers eux. Mais elle ne parlait que très peu de sa famille, ou du passé. La douleur pourtant jamais visible chez elle, referait surement surface.

Elle perçut son sourire avant qu'il ne se retourne et qu'il lui fasse face de nouveau. Sa queue aux crins emmêlés de vase désormais sèche, fouilla l'air doucement. « Ce Royaume... Nôtre Royaume... » Ses oreilles pivotèrent vivement vers lui. Il était donc d'ici. Était-ce une once de soulagement qui était palpable au fond d'elle même ? « Je suis le Maître du Royaume de votre Royaume. » Ansi donc, il était le maitre du Royaume de l'Eau. « C'est donc vous. » Avait-elle dit, comme pour le confirmer d'elle même. Maintenant tout paraissait évident. C'était donc pour cela que son nom lui disait quelque chose. Si on lui en avait parlé c'était bel et bien car il était celui qui avait le pouvoir de protéger ce Royaume. La jument esquissa un sourire, simple, léger, qui disparu bien vite. Elle inclina légèrement la tête, en guise de salut. Elle se redressa bien vite, son regard se perdant vers le ciel étoilé. Des étoiles qui pour elle, ressemblaient à ses ancêtres, qui de là haut, les protégeaient et les surveillaient. Elle souffla, quelque peu songeuse. « Y en a-t-il encore beaucoup ? » Ses naseaux frémirent avant qu'elle ne précise, de sa voix douce. « Des êtres vivants dans notre Royaume, y en a-t-il encore beaucoup ? » Elle rabaissa son regard sur lui. Tout le monde savait qu'après la grande guerre les Royaumes subirent de nombreuses pertes. Les plus jeunes avaient survécus et la plupart faisaient partie de la génération de Delliah.

« Morts. Beaucoup. » Ça elle en avait conscience. Le simple fait de se réveiller chaque jours en se disant que nous sommes la dernière de notre lignée suffit à rappeler combien la perte fut lourde et douloureuse. « Vivants, je l'ignore. Certains se cachent, d'autres ont fuis, le peu qui restent ne daignent montrer leur visage. Ceux qui ne sont morts aux combats le sont surement de chagrin, ou de lâcheté, de traîtrise. Pire encore ils ont perdu la foi en leur Royaume. » La jument faisait partie de ceux qui se cachaient. Il lui arrivait de se blâmer pour ça, mais ce n'était ni une forme de lâcheté ni de peur. Elle avait toujours été ainsi. Vivre à l'écart des autres est une chose que sa famille faisait depuis toujours, inconsciemment elle a suivit le même chemin que le leur au lieu de suivre sa propre route. Une certaine tristesse se glissa dans le regard azur de la belle. « Je vois. » Marmonna t-elle à moitié perdue dans ses pensées. Elle songeait à tous ceux qui étaient quelque part, cachés dans ce Royaume, sans jamais vouloir se montrer. Elle qui vagabondait dans chaque recoins de ce territoire, pourquoi ne les a-t-elle jamais rencontré ? Au fond d'elle même elle espérait sincèrement qu'ils se cachent tous et qu'un beau jour, une fois décidés, ils sortiront de leur torpeur et rejoindront les membres du Royaume afin de le protéger. Car non, pour elle, personne ne devait perdre la foi en son Royaume. Quiconque lui dirait avoir perdu ne serait-ce qu'une once de confiance ou de croyance envers leur Royaume recevrait un sermon de la part de la jument noire. Il était inconcevable pour elle de perdre sa loyauté envers ce peuple, même si depuis tout ce temps, elle l'observe et l'encourage de loin.

« Pardonnez Damoiselle, vous vous souciez du peuple je devrais vous être reconnaissant pour cela. » Elle reposa son regard sur lui, quelque peu surpris qu'il s'excuse. « Ce n'est ni correct ni honorable d'un Maître... » La jument ronfla bruyamment des naseaux, rompant la tranquillité des lieux qu'ils avaient installés depuis leur rencontre. « Ne vous excusez pas » Dit-elle d'un ton quelque peu sec. « Un Royaume ne vit pas sans son peuple. Il ne suffit pas de terres ou d'un Maitre pour qu'un Royaume puisse respirer librement. Nous sommes tous conscient de la situation, nous avons tous perdus des proches mais personne ne devrait perdre espoir. » Son regard se leva vers le ciel étoilé, un léger sourire se glissa sur ses lèvres. « Je n'ai jamais cru que mes ancêtres vivaient parmi les étoiles, pourtant après la grande guerre je n'ai jamais vu un ciel aussi étoilé. » Personne ne devrait perdre espoir, tant qu'une personne croit en ce Royaume, il continuera d'exister. Ils ont tous du grandir très vite, se débrouiller seul et mettre en pratique ce qu'on leur a apprit. S'ils étaient encore parmi eux, leur vie serait surement différente, peut-être serait-il plus près à être Maitre, peut-être aurait-elle suivit sa route au lieu de suivre la même route que celle de ses parents. Le regard de Delliah revint se poser sur Keïross. « C'est à vous de redonnez espoir au peuple, à vous de les faire sortir de leur cachète. Mais personne n'a dit que ce serait chose facile. » Finit-elle par dire, d'un ton plus doux, accompagné d'un sourire.

Il avait tout ce poids à porter. Toutes ces promesses d'une vie meilleure, de victoire, de paix. Qui a dit qu'être un Maitre était chose aisée ? Mais s'il avait été choisit pour cette destinée, c'est qu'il en était capable. Elle n'appréciait pas ce pessimisme, cette façon qu'il avait de se voir déjà vaincu avant même d'avoir fourni le moindre effort. Elle savait que même en disant son avis elle aurait du mal à le convaincre, mais si eut été une chose qu'elle détestait par dessus tout, c'est que l'on pense à la fin de ce Royaume. « Veuillez m'excuser, mais si vous restez pessimiste et que vous continuez à penser que vous allez foncer droit vers la défaite, personne ne vous suivra. » Elle secoua la tête légèrement. « Tout le monde sait ce qui les attends, ce ne sera jamais mentir pour un Maitre que de donner un peu d'espoir et de force à son peuple. Nous affirmer que nous mourrons tous pendant cette guerre ne nous donnera jamais l'envie de nous battre pour notre Royaume. » Sa queue fouilla l'air, surement quelque peu agacée. Elle était loyale, elle avait de l'espoir. Elle savait pertinemment qu'à tout instant la mort les attendaient, que la guerre éclaterait, que les pertes se feront nombreuses. Comme beaucoup de monde elle en était consciente, mais pour rien au monde elle ne voudra suivre un Maitre qui baisse déjà les bras, avant même que le combat n'ai lieu.

L'atmosphère des lieux sembla changer au même titre que le ton des deux interlocuteurs. Comme si les terres ressentaient chaque sentiment éprouvé. Delliah aimait à croire que c'était le cas. Après tout, n'avaient-ils pas tous un pouvoir ? Pourquoi donc les terres n'auraient-elles pas en eux un peu de leur magie ? « Qu'importe les étoiles, qu'importe la foi. Nous devons tous reconstruire ce qui a été détruit, mais nous ne serons jamais plus ce que nous avons été. » C'est vrai, le Royaume de l'Eau ne sera plus ce qu'il fut. Le peuple lui même est déjà changé. Mais tout passe par le changement non ? « Est-ce mal ? » Elle fit un pas vers lui. « Est-ce mal de ne plus être ce que nous avons été ? » Habituée à la faible lueur de la nuit, elle percevait toujours sa silhouette. Pour elle, il était évident qu'ils ne pouvaient être comme autrefois. Ils n'étaient pas leurs ancêtres, ils n'allaient pas donc agir comme eux. Et ils ne souhaitent surement pas qu'ils répètent leurs erreurs. Son père lui disait toujours qu'une nouvelle génération signifiait une nouveau monde. Elle chercha son regard dans l'obscurité. « Nous devons leur montrer qu'il n'ont pas posés leur espoirs sur nous pour rien. » Dit-elle tout en relevant son nez vers le ciel étoilé. « Mais si vous ne croyez pas en vous-même, comment pourront-ils croire en vous ? » Elle rabaissa son museau et fit un pas sur le côté, son encolure sembla s'abaisser et son optimisme s'amenuiser. Sa voix se fit plus basse. « Comment puis-je croire en vous ? » Lui demanda-t-elle dans un semblant de murmure.

Elle semblait déçue. Déçue des réponses qu'il lui apportait, déçue du Maitre qui se tenait devant elle. Elle ne s'attendait pas à un Maitre semblable au précédent. De toute façon elle n'avait jamais vu, ni réellement connu le précédent Maitre pour faire une quelconque comparaison. Mais c'était ce à quoi un Maitre devait ressembler ? Un être défaitiste, nullement motivé à encourager, à donner espoir et à jouer son rôle convenablement malgré les mensonges, les doutes et les douleurs ? Comment pouvait-elle croire en une personne pareille ? Elle croyait en son père, en sa mère, qui, malgré la vérité parfaitement visible sur leur visage, n'avaient cessés de l'encourager, la réconforter et de lui assurer qu'un jour, tout ira bien. Bien sûr c'est le rôle de tout parent que d'agir de la sorte, mais le Maitre n'est-il pas un parent aussi pour son peuple ? Ne doit-il pas, lui aussi, protéger, réconforter, encourager son peuple ? S'il ne possédait pas tout ça, s'il n'essayait pas même de le faire, à quoi bon y croire ?

Delliah leva son regard sur le ciel. Alors c'était ainsi ? Ils l'avaient choisit, en sachant pertinemment que ce serait dur pour lui, que toutes les responsabilités seraient durs à porter. S'ils savaient tout ça, eux, là haut, savaient-ils également que le nouveau Maitre face à elle serait aussi embrumé par le doute et aussi incertain sur lui même ? Un soupir souleva ses flancs, elle reposa son regard sur l'étalon. « Je croirais toujours en eux, malgré les bonnes et les mauvaises choses qu'ils ont pu faire dans leur vie. » Elle observa le marécage, quelques lucioles dansaient autour des deux équidés. Son regard azur revint sur Keïross, un regard presque désolé. « Mais je ne peux croire en vous. Vous ne croyez ni en vous, ni en votre rôle de Maitre, pourquoi devrais-je vous suivre dans vos décisions ? »

La jument fit quelque pas de côté, puis pivota doucement sur elle même, lui tournant le dos. Son encolure se baissa jusqu'à ce que le museau de la belle n'effleure l'eau vaseuse. Son regard scrutaient les étoiles qui se reflétaient dans l'eau. « Ma mère me disais toujours "Si tu doutes de pouvoir accomplir quelque chose, alors tu n’y arriveras pas". Si vous continuez à douter de vous, vous ne pourrez jamais être le Maitre du Royaume de l'Eau. » Elle redressa l'encolure et redevint silencieuse. Avait-elle cru à de l'espoir en apprenant qu'il était le Maitre du Royaume ? Surement. L'espoir qu'enfin la vie reviendrait galoper sur ces terres. Un infime espoir surement qu'ils puissent être de taille à affronter ce qui les attendaient. Une épreuve terrible que seul un peuple soudé était capable d'affronter. Mais pour l'heure, c'était donc impossible. Elle tourna de peu sa tête afin de le voir. Devait-elle se risquer d'espérer qu'un jour elle puisse croire en lui ? Devait-elle continuer à croire qu'un jour, ce Royaume retrouvait son éclat d'autrefois ?

« Je ne suis pas le Maître que vous avez imaginé en rêve. Pas de ces derniers qui n'ont connu que de bons combats. Non ils ne sont plus là pour constater le massacre. Eux n'ont jamais douté, voyez ce qu'ils sont devenus. » Elle n'était pas d'accord. Oui il n'était pas le Maitre qu'elle avait imaginé. Mais ces maitres qui n'avaient jamais doutés n'avaient pas connu que de bons combats. Toute le monde fait des erreurs, tout le monde tombe pour mieux se relever. Leur dernier combat ne fut pas le meilleur, mais même s'ils n'ont plus là pour voir ceux qu'ils ont sauvés peiner à survivre, le fait ai qu'ils les ont sauvés. Ils étaient conscients de ce qui allait arriver, ils savaient que pour sauver le peuple de l'Eau, ils allaient devoir se sacrifier. Pourquoi penser que leur décision était mal ? Même Delliah qui a pourtant tout perdu de part leur choix, ne pouvait leur en vouloir. Pour elle, ils avaient fait ce qui est juste. Elle l'avait accepté désormais et avait bien comprit qu'il ne fallait pas qu'elle songe à la moindre vengeance pour pouvoir se relever et vivre.

« Vous semblez bien prétentieuse à juger d'un être aussi rapidement. » Prétentieuse ? La jument ronfla des naseaux. Il pouvait être le Maitre de ce Royaume, elle ne pouvait laisser quelqu'un la juger trop prétentieuse. Si monsieur ne veut pas même entendre l'avis des autres, s'il s'est sentit blessé, qu'il admette. La jument agissait souvent de la sorte, parfois trop franche, parfois trop directe. Pour bousculer l'autre, pour qu'il cesse de se voiler la face. Elle était tombée sur quelqu'un d'aussi buté qu'elle. S'il ne voulait pas qu'elle pense de lui tout ce qu'elle avait pu lui dire, qu'il lui prouve le contraire. Elle n'attendait que ça, qu'il lui prouve qu'il était un Maitre digne de ce nom, qu'il ne mènerait pas son peuple à la mort mais à la liberté. Soudain l'eau trembla dans le marais, se soulevant à hauteur d'équidé. La jument fit un pas en arrière tandis que l'entier surgissait face à elle. L'eau les encerclaient, vibrante et rageuse. Reflétant parfaitement la colère visible dans le regard du Maitre. Les oreilles couchées vers l'arrière, la jument se redressa, lui faisant face. On lui avait apprit à ne jamais, au grand jamais, s'enfuir ou se rabaisser face à l'adversité.

« N'insinue plus jamais ça ! » C'était ainsi qu'il désirait faire ses preuves ? La jument affrontait sa colère, ses muscles tendus, toujours prête à agir en cas de nécessité. Instinct de survie quand tu nous tiens. Elle n'avait rien dit jusqu'ici, bravant cette colère qui devait être restée si longtemps enfouie en lui. Le laissant exploser à sa guise, comme s'il n'eut fait ça depuis des années. Puis l'eau retomba, le marais retrouva son calme, les grenouilles reprenant leur chant régulier. La colère se dissipa aussi rapidement qu'elle ne s'était montrée. La jument se détendit et quitta sa posture défensive. Le calme était revenu. « Vous ne devriez pas tout garder au fond de vous. Tous ces sentiments finiront par vous ronger et vous détruire, croyez moi. » Croyez moi, j'en ai fait l'expérience. Dit-elle le plus paisiblement possible. Elle lâcha un soupir avant d'emboiter le pas. Elle passa à côté de Keïross. Sa peau effleurant la sienne, premier contact physique depuis leur rencontre. Ses membres plongèrent dans l'eau vaseuse et elle commença, doucement, à s'éloigner. « N'oubliez pas: Si vous faiblissez, ils flanchent. Si vous doutez, ils désespèrent. Si vous critiquez, ils démolissent. Mais... Si vous marchez devant et si vous leur donnez la main, ils vous donneront leur vie. » Un fin sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle continuait doucement à se glisser dans l'obscurité du marais. Tel un mirage disparaissant doucement à l'horizon.