Le pas sûr, la jolie noiraude pénétra sur la plage. Tout de suite, ses sabots apprécièrent de ne plus déraper sur les graviers et s’enfoncèrent moelleusement dans ce tapis doux et brûlant. Shams secoua joyeusement la tête. Elle n'avait jamais vu la mer et tout de suite, les vagues l'impressionnèrent. Elle ne s'en approcha pas tout de suite, laissant d'abord ses yeux s'habituer à cette forte luminosité que leur offrait le ciel en cette bel après midi. Puis, elle reprit sa marche et s'arrêta à quelques mètres de l'eau, là, elle ne risquait rien. L'écume, lourde, venait s'écraser contre le sable, éclaboussant les alentours. Shams s'avança de quelques pas et une petite vague, un peu plus puissante que les autres vint lécher ses boulets. Surprise, la femelle se recula de quelques pas. Ses naseaux étaient gonflés et elle se mit à ronfler de curiosité. Elle s'en approcha à nouveau, et une nouvelle vague vint humidifier ses sabots. Cette fois-ci, la noiraude se força à rester sur place, campé sur ses quatre pattes. La vague pénétra entre ses quatre pattes, la mouillant jusqu'en haut du canon avant de se retirer, aussi vite qu'elle était venue. Shams l'observa, de ses jolies orbes noisettes avant de s'avancer à son tour, vers le large. La vague suivant la prit jusqu'à la poitrine. Elle ne bougea pas tétanisé. Puis, alors qu'elle marchait, dans l'eau jusqu'au poitrail, elle trouva un endroit calme, là, les vagues ne s'agitaient plus. Curieuse, elle plongea ses naseaux dans l'étendue bleutée avant de les ressortir aussitôt, une grimace de dégoût collée sur le visage. C'était salé ! La jeunette tapa plusieurs fois la surface plane de son antérieur, s'éclaboussant l’encolure et la tête. Puis, elle démarra en trombe, et rejoignit la berge.

Les yeux fixés sur le large, elle sourit. Elle était heureuse d'avoir enfin pu la voir, cette mer dont tout le monde parlait. Alors qu'elle restait figée face à l'horizon, elle entendit des pas. Pour une fois, son corps ne se contracta pas, elle était en terre neutre et elle venait de passer un super moment, impossible donc, qu'on vienne lui gâcher sa journée. Les pas s'arrêtèrent juste derrière elle. Shams ne su pas si c'était elle qui rêvait mais elle cru même sentir le souffle de l'inconnu au creux de ses reins. Alors, pour elle même ou bien pour l'autre, elle n'en savait rien, elle murmura rêveuse :

« Je n'avais jamais vu la mer. »

Shams ne se retourna pas tout de suite. C'était une voix féminine qui lui avait répondu. Elle pivota ses oreilles, pour savoir où se trouvait l'inconnue. Celle-ci fit quelques pas, et avant même que la noiraude ne se retourne, se plaça autour d'elle et en l'encerclant, tourna autour, inlassablement. La rouquine la laissa prendre place à son petit jeu. La jument était imposante, par sa taille surtout. Elle devait avoir au moins une taille de plus au garrot que la noire. De larges tâches noires et blanches ornaient son corps. Ses crins étaient fournis et longs. ses pattes en imposaient aussi par leurs épais fanons mais aussi par la largeur de ses sabots.

« Shams. Je me promène, ce sont des terres neutres, j'ai le droit non ? » souria-t-elle.

Elle se tourna vers la femelle qui se tenait derrière elle. Elle n'avait pas rencontrée beaucoup de juments et avoir une "amie" ne serait pas de refus. Cependant le regard de la pie ne lui inspirait pas confiance pour le moment.

« Puis-je vous retourner les questions ? »

La grande jument aux deux couleurs s'approcha de la surface impeccablement bleue et la frôla de ses naseaux. Lorsque ses pattes entrèrent en contact avec l'eau, deux petits geysers de fines gouttelettes jaillirent, gerbe d'éclaboussure. L'inconnue plongea goulûment son museau dans l'eau salée et en aspira une grande rasade. Telle fut sa surprise lorsque le sel vint irradier ses papilles. Effarée, elle recula, comme haineuse de s'être laissée prendre au piège. Elle retroussa sa lèvre supérieure, et agita la tête de gauche à droite, pour fuir le mauvais goût qui s'était collé à sa langue. Shams observa le manège de la pie sans ciller. Elle venait de faire les frais, elle aussi, de cette eau qui paraissait aguichante et rafraîchissante à souhait et qui en fait, vous brûlait la trachée.

« Vous feriez mieux de sortir de là, le sel colle les poils et réveille de vieilles douleurs enfouies.» Conseilla-t-elle gentiment. « Du moins, je vous préviens. » Termina-t-elle plus doucement, comme pour elle même.

La pie ne lui adressa pas un regard, continuant de maugréer sur le pourquoi du comment de cette eau salée. Shams resta impassible, à l'observer déverser sa haine contre l'immensité bleuâtre. Inutile d'intervenir, au risque de se faire remettre à sa place. Soudain, elle aperçu un éclair de lucidité passer sur le visage de la grande jument bicolore et s'en réjouit. Shams s'avança de quelques pas, se retrouvant à la même hauteur que l'autre, épaule contre épaule. Doucement, elle s'autorisa à murmurer, comme pour consoler l'inconnue ;

« Vous êtes cent fois plus jolie quand vos traits ne sont pas froncés de colère. »