Vilain petit canard • Keïross [FINI]

Vilain petit canard

Fé avait toujours été curieuse. Dès son plus jeune âge, elle avait tendance à s'éloigner dès que sa mère baissait la tête pour brouter un peu. Mais contrairement à celle-ci, qui venait la rechercher aussitôt et la ramenait sévèrement à l'ordre, son nouveau protecteur avait quelques difficultés à faire face aux responsabilités de père adoptif. La jolie brunette, qui commençait déjà à s'éclaircir, était donc partie à l'aventure. Elle n'était pas perdue... ou du moins ne s'en rendait-elle pas encore compte. Elle avait traversé plusieurs paysages, gambadant naïvement de rocher en pré, de pré en rivière, de rivière en chemin. Et petit à petit, comme par un miracle de la sélection naturelle, elle s'était retrouvée dans le Royaume de l'Eau.

Bien entendu, elle n'avait presque aucune notion à propos des Royaumes, des Éléments, et tous ces trucs. Sa mère lui en avait parlé le moins possible, estimant que cela lui était nocif, et la nature semblait l'y avoir encouragée. Si don elle avait bien, il était pour l'instant aux abonnés absents : Fé n'avait jamais soulevé le moindre caillou. Elle s'arrêta devant cette grande étendue d'eau, admirative. Elle connaissait peu de choses, mais sa mère lui avait quelque peu parlé du Royaume de l'Eau, pour lequel elle avait apparemment une certaine admiration. Mais en dehors de ces rudiments de mythologie auquel la petite brune n'avait prêté qu'une vague attention, Fé n'en savait pas plus. Elle baissa la tête et effleura doucement l'eau de bout du nez, aspirant goulument l'air frais qui s'en dégageait. Il se dégageait de cet endroit... une sorte d'aura.

Elle releva la tête, ses naseaux se dilatant à chaque de ses respirations, son poitrail et ses flancs se soulevant régulièrement. L'endroit était si silencieux, si paisible. Le soleil illuminait la surface paisible de l'eau. Un léger mouvement faisait jouer chaque goutte d'eau avec un rayon, transformant la pièce d'eau en véritable tapis de diamants. Émerveillée face à tant de beauté, Fé ne faisait plus attention à ce qui arrivait derrière elle. Hypnotisée par tant de beauté, apaisée par la force de ce lieu, Fé restait là, sans mot, et ne l'entendit pas approcher...

Les derniers temps n'avaient pas toujours été cléments sur l'ancien Royaume de Denmoriny. Tout semblait permis, plus rien d'interdit. Et combien même toutes les lois pouvaient être bafouées, combien chaque Élément pouvait avoir un mal fou à se reconstruire, il fallait continuer à vivre. Tenter d'inspirer ce maigre filet de bonheur qui perdurait dans le monde, cette moindre vie qui nous permet d'avancer.
Il ne su véritablement ce qui l'avait de nouveau mené à la Source de la vie, peut-être attendait-il un nouveau miracle? Comme celui auquel il a eu l'occasion d'assister en retrouvant sa cousine. S'il ne l'avait pas montré souvent, il pouvait ressentir ce réconfort au fin fond de son cœur qui continuer de l'embaumer, à la simple et unique idée qu'elles seraient là à ses côtés, et qu'elles allaient toutes les deux bien. Mais il savait ce qui attendait les Royaumes, leur Royaume, et une brèche insoignable continuer d'anéantir sa joie. Il était comme tous un pion dans l’incontrôlable planning de la vie, simplement un jouet destiné à jouer un rôle dont il n'est peut-être pas même maître.

Mais peu à peu ses pas le menaient à cette magnifique source, où résonnait inlassablement l'écho de la vie. Le lieu était comme suspendu dans le temps, privé des bonheurs mais surtout des malheurs, des peines et des guerres. L'eau semblait avoir fécondé la Terre depuis longtemps ; l'herbe était verdoyante, baignant sous une fine couche de liquide translucide, quelques fleurs courageuses avaient éclos, les feuilles de l'arbre baignaient et flottaient à la surface de l'eau. Il n'y avait rien de plus apaisant, rien de plus spirituel, comme hors du temps, hors de tout.
Le sol était moelleux, à tel point que ses sabots disparaissaient sous la surface. Le son de ses pas résonnaient régulièrement, dans une cadence entrainante mais non pas pressée. Il ne lui fallut que peu de temps pour que ses yeux à l'affut de tout parviennent à distinguer le jeune silhouette équine qui se dessinait plus au loin. Elle semblait happée par l'environnement, ou peut-être autre chose, qui sait à cet âge, tout est source de curiosité et de surprise. Un fin sourire apparu à ses lèvres, presque déçu de n'avoir pu être aussi naïf à l'époque où lui avait son âge bien qu'il ne pouvait que l'estimer. Mais qu'importe, à présent il ne regrettait pas, il ne le pouvait pas, pas après avoir eu un tel honneur.

Sa direction changea subtilement pour s'approcher de la pouliche. Pas après pas, calmement, les mètres les séparant se réduisirent considérablement. Il s'arrêta enfin. Non, elle ne l'avait décidément pas encore vu.

« Somptueux, n'est-ce pas? »

Fé sursauta comme jamais. Un petit hennissement de peur lui échappa tandis qu'elle faisait un écart d’un bon mètre de côté, perturbant l'eau d'un de ses sabots. L'onde se propagea sur toute la pièce d'eau, faisant danser cette grande nappe de cristal. Le souffle rendu court par la surprise, la pouliche contempla avec stupeur celui qui lui faisait face. Comment, en cet instant, pouvait-elle se douter de qui se trouvait près d'elle ? Si sa mère lui avait parlé du Royaume de l'Eau et de son maître, elle ne le lui avait jamais décrit, espérant précisément que sa fille ne le reconnaisse pas, ou croyant plus naïvement qu'elle ne le rencontrerait jamais.

« Je... C'est... Oui, c'est vraiment très beau. »

Ses yeux bruns foncés embrassèrent de nouveau ce paysage si... en fait, ce n'était pas seulement beau, magnifique, indescriptible. Oui, ça l'était, mais... il y avait autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus spirituel dans ce lieu. Fé se tourna timidement vers l'étalon silver. Et brusquement, elle eut la vague et fugace impression qu'il faisait partie de ce lieu. Il était une part de ce lieu, une part de cette sagesse et de cette majesté. Étonnée d'en arriver à de pareille réflexion philosophique devant un lac, elle détourna le regard et ajouta timidement :

« C'est très apaisant, aussi. »

Qui était-il ? Sa curiosité, comme souvent, perça soudain la carapace de timidité et elle osa le regarder de nouveau. Étonnement, elle ne se sentait pas menacée avec lui. Par son allure calme et posée, il semblait exercer le même effet apaisant que le liquide scintillant qui s'étendait à leur pieds. Mais où était-elle donc ? Cette question ne lui traversa même pas l'esprit. Cet endroit était si merveilleux, si doux et serein, que la question de retourner, de le quitter, ou même de bouger, ne se posait pas. Elle était vraiment bien.

Lorsqu'elle hennit de surprise, le Maître pointa doucement les oreilles vers l'avant. Mais ce fut tout. Allait-elle fuir? Resterait-elle à proximité, en acceptant simplement la présence d'un inconnu? La réponse ne fut pas longue à attendre, et Keïross fut ravi de constater qu'il ne lui procura plus amples peurs. Il l'écouta alors sagement, tandis qu'il jaugeait peu à peu la petite. Le Maître n'était pas devin, mais il savait reconnaître un membre de son Royaume et celui qui ne l'était pas, pas au point de le préciser non plus en cas de non appartenance et cette faculté -propre à tous Maîtres- épargnait bien des ennuis. Mais la question pour elle viendrait un peu plus tard, il ne savait trop s'y prendre avec les poulains et pouliches et il tâcha de faire l'effort de ne pas l'effrayer davantage avec des questions subjectives, du moins il le croyait.
Elle ajouta que la Source était combien apaisante, et Keïross ne pu qu’acquiescer d'un léger et bref mouvement de tête. Elle semblait se détendre peu à peu, et le silver espérait que cela ne soit pas qu'une simple impression.

« Il est vrai. » Se contenta t-il de conclure d'une voix suave et douce.

Beaucoup d'autres adjectifs auraient pu compléter la description de ce lieu, mais à en dresser la liste, ils en auraient eu pour toute une journée, et le Maître voulait lui épargner pareil supplice. Puis d'une certaine manière, il savait qu'aucun mot ne serait à la hauteur de cet endroit, le tout ne serait qu'un pur et traitre euphémisme.

« Quel est ton nom, jeune demoiselle? » Reprit-il sur la même intonation.

Il pouvait sentir la présence de l'Eau inonder son âme, une sensation que seuls les êtres de son élément pouvaient goûter avec ce liquide. En regardant la pouliche, il se demanda alors si la sensation des autres Royaumes vis à vis de leur propre élément pouvait être semblable, si ce contact était si doux, si pur, si frais et revigorant. Ou si comme le Feu il brûlait d'une intense chaleur, faisant crépiter les cœurs. Oui si comme la Terre le sol semblait plus solide, si familial au point que où que vous alliez vous vous sentez chez vous. Comme comme l'Air... ah, l'Air, le Maître ne voulait y penser.

La jeune pouliche pointa les oreilles vers l'étalon silver à ses côtés. Qui était-il ? Désemparée cevant un tel comportement, devant tant de prestance, Fé se sentait plus craintive encore qu'à l'habitude. La voix de sa mère lui répétant sans cesse de se méfier des inconnus résonnait dans sa tête. Sa mère... Une larme perle au coin de son oeil, puis trouva son chemin le long de son chanfrein, avant de perler au bout de son nez et de venir s'écraser sur l'eau qui clapotait le long de la berge. Fé détourna le regard, dans une vaine tentative pour cacher cette faiblesse. Elle devait être forte. Sa défunte mère l'y avait toujours exhortée. Et puis elle ne serait plus toute seule. Il y avait son nouvel ami.

« Je m'appelle Fé. C'est mon papa qui m'a appelée ainsi. »

Précision inutile, mais à laquelle la pouliche se raccrochait comme à une bouée. Non, elle n'était pas sans parents. Elle avait des origines. Elle avait une trace de ce père qu'elle n'avait jamais connu, de ce père mystérieux, à jamais perdu, qu'elle ne retrouverait que dans les limbes de la mort. Pourtant son sang coulait dans ses veines, et cette simple syllabe, qui forgeait son identité, était une trace de celui qui lui avait offert sa vie. Elle regarda de nouveau l'étalon à côté d'elle, n'osant pas lui poser la question, bien qu'elle se lut sans difficulté dans ses yeux. Lui demander comment il s'appelait ? Fé n'aurait jamais osé ! Il était si... la pouliche baissa légèrement la tête. L'eau sous eux exhalait sa fraîcheur par bouffées, et Fé savourait cette sensation revigorante. Pourtant, étonnement, ce qu'elle sentait le plus, c'était la terre meuble sous ses sabots. C'était cela, bien qu'elle ne s'en rendit pas encore clairement compte, la source de sa force. Fé avait encore tant de chemin à parcourir...

Fé. Voilà un nom bien étrange pour une jeune pouliche se promenant seule, mais... charmant. Le Maître aurait pu esquisser un fin sourire mais il n'en fit rien. Trop de marbre, trop secret. Son regard l'avait scruté avec attention jusqu'à ce qu'elle prenne à nouveau la parole pour répondre de son identité, et c'est sans nul surprise qu'il eut remarqué cette perle d'eau rouler contre sa peau. Il l'a ressentait salée et chaude, cette Eau avait trahis le ressentis de la petite. L'Eau ne peut rien cacher à son Maître.

« Ton père à bon goût, Fé ; c'est un joli nom. » Prit-il le temps de complimenter.

Elle ne lui demanda rien en échange, et croyait le fait que le Maître ne dévoilera pas son identité aussi promptement. Qu'elle soit ou non effrayée par lui, qu'elle soit ou non une pouliche perdue. Il l'observa calmement, partageant quelques secondes de silence avec la petite demoiselle. Il ne savait à quoi correspondait sa présence sur les Terres de l'Eau, un égarement? Une fugue? Un envie soudaine de découverte...? Si parent il y avait, ils étaient bien peu prudents. Mais bientôt le Maître ne permis plus à sa curiosité de se taire, et il reprit alors.

« Que fais-tu seule aussi loin de chez toi, Fé? » Commença t-il. « Il n'est point prudent pour une jeune demoiselle, de vagabonder en solitaire en ces temps peu certains. »

Non, en effet il n'avait pas la fibre paternel. Des bambins à rassurer quand ils pleurent, à soigner lorsqu'ils se blessent, à calmer lorsqu'ils sont en colère. Bien que très attentif au bonheur et à la bonne santé de son peuple, les -poulains étaient presque une espèce à part entière à ses yeux. Mais ça, personne ne le saura jamais, à moins qu'il ne soit que piètre comédien en cette matière.

Un beau nom... Son père avait bon goût. Ce simple compliment, sans doute dit plus par complaisance que par réelle volonté de complimenter, prenait une valeur extraordinaire aux yeux de la pouliche. Elle se tourna vers l'étalon silver qui la scrutait avec attention, comme s'il tentait de la sonder. Mal à l'aise, Fé bougea un peu, changeant de pieds d'appui. Elle ronfla doucement, comme pour expirer les derniers restes d'air impur; L'air ici était si pur. Une légère briser vint caresser ses naseaux et l'enveloppa comme un manteau de fraîcheur. Cette vague d'Air transportait avec elle l'Eau évaporée, et Fé inspira doucement, profitant de cette fraîcheur inespérée.

L'étalon silver prit de nouveau la parole.. Que faisait-elle ici ? L'idée soudain de s'être aventurée là où elle ne pouvait pas la traversa. Delomnas lui avait bien parlé de choses complexes avec des Royaume, mais pour être honnête Fé n'y avait porté que peu d'attention. Elle jeta un regard penaud au silver qui la contemplait de toute sa hauteur, avec un air sévère qui lui faisait un peu peur. La pouliche ne savait trop s'il lui en voulait ou s'il ne l'appréciait pas. Brusquement, la panique s'empara d'elle, et elle recula d'un pas. Et s'il lui voulait du mal ? Delomnas ne serait pas là pour la protéger. Alors, sans réfléchir, elle répondit :

« J'ai suivi papa jusqu'ici. Pas celui qui m'a appelée Fé, l'autre, celui qui m'a protégée du puma qui m'avait attaquée parce que ma maman avait été tuée par un de ceux-qui-font-bouger-le-feu. Mais apparemment il doit se rendre à une sorte de fête, et je dois avouer que je me suis un peu éloignée. Vous le connaissez peut-être, il s'appelle Delomnas ! »

Elle avait déballé cela tout d'un coup, presque sans respirer, et sans laisser le temps à l'autre d'en placer une. Fé le regardait toujours, se demande toujours si ce petit discours n'avait pas été superflu. Mais elle ne savait toujours pas qui il était, s'il constituait une menace ou pas. Et s'il avait lui aussi des pouvoirs ?

Le Maître l'écouta débiter toutes ces informations à en perdre haleine. Malgré la crainte soudaine de la pouliche, qui retendit un peu l'atmosphère, ses paroles si effarouchement déballées lui tira doucement un sourire en coin, quelque peu... attendris. Oui, ce devait être cela. Le Maître avait sourit. Mais autre que la réaction de la pouliche à laquelle il assista en notant plus la forme que le fond sous l'étonnement, il parvint à relier l'attribution de « père » à celui de « Delomnas ». Il rebroda les paroles afin de donner un sens à cela. Delomnas, un père de cœur volontaire ou l'idée d'un père héros émanant de la pensée d'une jeune pouliche qui fut en détresse? Il considéra les hypothèses en silence, sans véritablement balancer pour une solution, plus que l'autre. Un équilibre fatal qui aiguisait à haut point sa curiosité, mais quoiqu'il en soit le futur Maître de la Terre devait tenir à la vie de la jeune pouliche, et combien même ce lien pouvait être fin il ne ferait que grandir, vu l'attachement évident que Fé portait à l'idée de père. Il n'émit aucune remarque à ce sujet.

« Tu es chanceuse aujourd'hui. Tes pas ne t'ont pas menés en un dangereux territoire. »

Il regarda autour de lui, comme pour marquer l'aspect presque paradisiaque -pour lui du moins- de ce lieu. Puis son regard s'attarda sur le Saule Pleureur plus au loin, dont les branches souples et feuillues étaient égales à des larmes caressant la surface de l'Eau. Il était vieux, ce Saule, aussi vieux que les légendes, aussi vieux que l'Ancienne Fissure, pourtant il n'avait rien perdu de son éclat originel.

« Sais-tu au moins où tu te trouves, Fé? » Questionna t-il calmement sans lâcher à un seul moment, l'arbre du regard.

Peut-être en avait-elle entendue un jour parlé ou simplement son imagination la mènerait à conter quelque chose de surprenant sur ce sujet. Mais qu'importe au final, le but n'était point de lui faire un interrogatoire mais bel et bien de la mettre plus à l'aise, et de lui faire connaître le territoire qu'aujourd'hui, elle venait de fouler.

Un endroit dangereux... Fé secoua légèrement la tête. Depuis cette journée fatale qui avait bouleversé sa vie et l'avait secouée comme un enfant secoue un jouet, la pouliche ne savait plus où était la sécurité. Nulle part, sans doute. Pour elle, le danger pouvait surgir à tout instant. la preuve de cet état d'alerte constant était que la jeune brunette, sous sa robe qui s’éclaircissait lentement, était continuelle tendue. boule de muscles prête à bondir au moindre mouvement suspect, Fé était continuelle aux aguets. Un bruit attira son attention, et aussitôt ses oreilles se focalisèrent sur sa source; Elle se tourna légèrement, tout son attention accaparée par cette menace potentielle. L'oiseau qui venait de se poser au bord de l'eau lui accorda un bref regard avant de s'éloigner en bondissant. Rassurée, la pouliche se concentra de nouveau sur son interlocuteur.

« Non, je ne sais pas où je suis. Mais... »

Comment exprimer cela ? Comment mettre des mots sur une sensation, sur une énergie ancestrale, une force qu'elle avait hérité de ses acnêtres les plus lointains ? Comment expliquer cal clairement ? Y avait-il seulement des mots à poser sur un tel phénomène ? On était en droit d'en douter. Toutefois l'enfance est l'époque de la vie où l'imagination est la plus fertile, aussi Fé tenta-t-elle malgré tout :

« Il y a comme... je ne sais pas... une force qui se dégage de cet endroit. »

Désolée, c'est court, mais je suis crevée T.T

[Aucun soucis, plaisir avant tout =)]

Le Maître était attentif, au point de suivre le regard de la pouliche qui s'était brièvement posé sur cet animal à plume. Il ne regrettait pas sa forme, mais il aurait aimé voir quelle sensation était celle de voler, et quel aspect prenait la Terre vu d'en haut. Son père disait souvent : Observe chaque détail, chaque vie sous un autre regard, et tu verras qu'ils n'en sont que plus étonnants. Mais cela était impossible, de voler, à moins de faire une chute libre de centaines de mètres, qui le précipiterait directement dans les ténèbres. Non, Keïross tenait trop à la vie pour garder son avide curiosité en un lieu sur, loin de lui faire faire des choses qu'il regretterait tout au long de sa vie.
Il attendait une réponse plus simple de la jeune demoiselle se tenant devant lui, et il dû avouer être agréablement étonné de sa réponse, la trouvant mâture et consciente de ce qui l'entourait. Elle ne le su probablement pas, mais elle attisa davantage la curiosité de l'étalon aux crins d'or.

« Quelle force ressens-tu, Fé? » Questionna t-il de sa voix suave et grave.

Il prenait le temps de préciser son nom à la fin de chaque phrase, de chaque question quand elles étaient éparses. Ce n'était point une manière de rappeler à quiconque quel était l'identité de la demoiselle, mais bel et bien une manière d'insister sur le questionnement, et le rendre plus sérieux qu'il n'aurait pu l'être sans cela. Et d'une autre manière, aussi infime que cela puisse être, il voulait la faire réagir sur le fait qu'elle ignorait la véritable identité de celui à qui elle parlait.

Apprends l'identité de l'autre, avant de te risquer à donner la tienne. Car lui apprendra sur toi aussi vite que l'ombre qui se fond devant la nuit.

Mais cela ce fut tout, il voulait réellement connaître son ressentis, ce que la jeunette cachait en son cœur devant un tel lieu.

Quelle force ? Voilà une bien étrange question. C'était inexplicable. Il n'y avait pas vraiment de mot, pas de nom commun qui puisse convenir. C'était tout à le fois une force et une énergie. Fé ferma ses paupières brun écorce quelques instants, se concentrant. Elle inspira, expira. Encore. L'air était pur ici, mais pas tellement différent d'ailleurs, finalement. Une légère brise la fit frissonner. La chaleur manquait ici. Et l'Eau ? Fé rouvrit les yeux. Cette grande surface devait dégager une force phénoménale. Mais l'Eau était trop mouvante, trop instable, trop changeante. Non, ce que Fé ressentait, c'était une incroyable stabilité. C'était une énergie... tellurique. Une force sans âge, puissante et inerte, mais prête à bondir. La pouliche baissa les yeux vers la terre à ses pieds. Était-ce le sol qui dégageait une telle énergie ?

Brusquement, elle se tourna vers l'étalon à ses côtés. Des paroles de sa mère lui revenaient en mémoire, des leçons donnée dans sa plus tendre enfance, des rudiments de l'histoire de Denmoriny. La force venait du sol, mais il y en avait une autre, différente, qui se dégageait de l'étalon à ses côtés. Elle le scruta un instant, soudain suspicieuse. Qui était-il ? Cette question tournait sans cesse dans son esprit, insistante, agaçante. Et si... Et s'il faisait partie de ceux-qui-font-bouger-les-pierres, lui aussi ? Ou pire : de ceux-qui-font-bouger-le-feu ? Un effroi sans nom serra le petit coeur de Fé. Les images, fraîches et macabre, de cette ravine calcinée où gisait sa mère lui revint en mémoire. Sans pitié, le souvenir s'imposa à elle. Et brusquement, aussi naïve qu'inattendue, la question lui échappa :

« Vous faites partie de ceux-qui-font-bouger-le-feu ? »

Elle ne répondit pas à sa demande ; ignorait-elle ce qu'il lui demandait exactement ou l'oublia t-elle pendant que son esprit attendait une autre information. Le Maître resta silencieux, sans brusquer la pouliche qui semblait partie dans ses pensées. Il aurait aimé quelque part, savoir ce qu'elle ressentait exactement ; si cela venait de son don ou de l'incroyable magie qui régnait en cette source. Elle n'était pas appelée la Source de la Vie pour rien, et portait ce nom avec une efficacité et une facilité déconcertante. Les légendes racontaient de belles histoires, mais Keïross pourrait en raconter d'autres qui elles, n'étaient ni des légendes, ni des évènements incroyablement magique et surnaturel. Non, ce ne serait pas ces histoires-là, ce serait celles qui ont ranimées son espoir, celles qui apportaient des réponses à la vie, à sa vie. Il aimait surnommer ce lieu : Sagesse d'Espoir.
Le vieil arbre qui était planté en plein cœur de la Source était un Saule aux longues branches pour la plupart. Mais c'était bien plus que cela, c'était l'Ancien. Celui qui a ouïe chaque être murmurer ses secrets, ses vœux, ses désirs les plus profonds que même leur proche ou leur sang n'aurait jamais su. Et parfois, des voix doucement s'élevaient, apportant énigmes et devinettes, quêtes et buts. Beaucoup prenaient ceux qui le racontait pour des fous, car quel arbre murmurerait des mots adaptés à chaque être? Quel arbre prêterait oreille en comprenant les supplices, les joies, les peines, les espoirs et les colères des plaignants venant devant son tronc? Beaucoup s'en moquerait, mais ces -beaucoup- sont ceux qui n'ont jamais eut l'occasion de venir, et devant leur ignorance et leur non croyance ils n'entendaient rien : ou plutôt, ne voulaient rien entendre.

« Non, je n'en suis pas un. » Répondit-il avec détachement.

Le Saule était capable de rendre plus nette et puissante l'énergie de chaque élément. Aussi c'était sans doute pour cela, que la pouliche ignorait d'où elle provenait. Mais ce n'était pas une coïncidence, ce n'était pas aléatoire. Le Maître s'en douta fort bien, et ne s'inquiéta pas alors, ne trouvant pas que cette énergie pouvait être dangereuse, bien au contraire.

« Regardes autour de toi, et déduis mieux que cela. » Il anticipa sa question par un indice. Il n'était pas très compliqué de le déchiffrer, l’élément phare de la Source était celui pour lequel il vit.

Un peu rassurée, la pouliche s'apaisa. Bon, il ne représentait pas de menace directe. Ceux-qui-faisaient-bouger-le-feu resteraient gravé dans sa mémoire longtemps comme des âtres dangereux. Elle les éviterait. Quoi qu'il arrive, elle devrait les éviter.

Mais la pouliche commençait à avoir du mal à résister à la curiosité qui la tenaillait de savoir qui était cet étalon. Bon. Déduis-mieux que cela. Dans le genre phrase sibylline qui veut rien dire, on était au niveau compétition. Mais qu'à cela ne tienne, elle allait déduire. Elle embrassa de nouveau le paysage du regard, et ses iris sombres s'arrêtèrent sur le vieux saule. Ses oreilles se pointèrent vers l'arbre étrange. Soudain, sans raison explicable, un souffle souleva légèrement ses branches, puis tourbillonna au-dessus de la surface jusqu'à la pouliche. La brise s'enroula autour de sa robe brune, enroba ses oreilles pour mourir ensuite autour de ses jambes. N'oublie pas, Fé... . La pouliche secoua la tête. Cette... Cette voix ? Sa mère ? Mais le souffle s'était déjà évaporé. Alors Fé garda cette hallucination pour elle.

« Ceux-qui-font-bouger-l'eau, c'est cela ? Oh, c'est super ! Je n'en avais encore jamais rencontré ! »

La pouliche s'était soudain tournée vers le Maître et avait retrouvé son enthousiasme juvénile. Et bien qu'elle cacha au fond d'elle cette tristesse parmanente, elle avait pris soin de l'enfouir là où personne ne pourrait la déterrer. Dorénavant, Fé le sentait, elle devrait vivre seule avec ce chagrin. Le chagrin d'une enfance jamais vécue, d'une mère perdue trop tôt. Mais la pouliche n'en montrait rien. Il fallait bien vivre, non ?

Je n'en avais encore jamais rencontré.

A l'entendre on aurait pu croire à un être commun non dénué de paroles, parler de choses.. de choses éventuellement rares, dures à trouver, ou tellement peu communes et illusoires qu'ils se soumettent à de simples portraits préalablement écris. Il ne lui en tins pas rigueur, et ce contenta de voir qu'elle avait eu un minimum d'enseignements, ou de culture générale. En ce monde, connaître les quatre Royaumes de Denmoriny était comme savoir compter le nombre de chevaux qui ont une tâche blanche sur la figure.

« C'est exacte. » Se contenta t-il de répondre.

Aucune lueur de crainte n'était passée dans les yeux de la petite, rassurant le Maître sur l'idée qu'elle ne faisait pas partie du Royaume de l'Air. Au moins, elle ne sera ni chassée ni achevée, ni quoique ce soit d'autres par son peuple, et il en fut plus que ravi.

Son regard paru soudainement intéressé. Elle n'avait jamais vu d'habitants de l'Eau? Elle ne devait jamais avoir eu l'opportunité de voir ce liquide sacré sous sa forme magique. Un sourire en coin orna ses lèvres noires et sèches, quand feignant une indifférence complète à l'égard du lac, celui-ci produisit tout d'abord une fine écume à sa surface. Les plus fines bulles s'élevèrent lentement dans les airs, et décrivirent lentement une trajectoire redondante. Chaque bulle repassait inlassablement sur le même chemin, jusqu'à ce que leur nombre de provoque un mouvement massique. Une fine et élégante créature semblait marcher sur l'eau, à la fois fragile et fière d'elle. Elle avançait pas après pas, ses sabots effleurant avec une rare subtilité le liquide miroitant. Elle brillait sous les douces lueurs du soleil, et était animée par le somptueux ballet de chaque sphère du liquide. Cette eau légère se cristallisa lentement, devenant une glace scintillante de milles éclats. Le visage de la créature reflétait à la perfection celui de la jeune pouliche, son créateur s'en était inspiré et elle était aux dimensions exactes. Soudain, son poids l'attira sous les eaux, comme une glace fond sous le soleil.

Il observa sa réaction, curieux d'en connaître les ressentiments.

Fé se rendit-elle compte de la force et de la maîtrise nécessaire de son élément nécessaire pour réaliser cela ? Sans doute pas. Lorsque l'écume se mit à affleurer, elle détourna son attention du Maître pour s'intéresser à l'eau. Et, émerveillé, elle vit l'eau s'élever, lentement, majestueusement, avec une grâce qu'elle n'avait pas quitté depuis l'aube du temps. Symbole de vie et de pureté, l'Eau avait toujours exercé sur la pouliche une grande fascination.

Puis la créature leva la tête, et Fé se retrouva face à son portrait, sculpté avec talent dans le liquide limpide et scintillant. La pouliche était enchantée. Quelle merveille ! Quelle pureté ! La brunette avança d'un pas, effleurant l'eau du bout du sabot. Elle tendit le nez, dans l'espoir de toucher cette créature chimérique. Mais soudain, elle se cristallisa doucement, dans de léger craquements qui semblaient une musique. D'être fantastique, elle devint statue majestueuse.

Puis elle fondit brusquement, retournant à l'élément dont elle était née. Fé sursauta, la magie s'éteignant brusquement. Dans sa surprise, elle fit un pas en arrière. Et comme si toute cette magie l'avait imprégnée, son corps sembla réagir naturellement. Et sans doute personne ne le remarquerait-il, mais une très légère fissure, davantage une trace dans la terre, s'ouvrit là où l'eau venait s'échouer, et là d'où Fé venait d'enlever le pied. Mais elle-même ne le remarqua pas, et elle se tourna vers l'étalon, en admiration la plus totale. Comment faisait-il cela ? Elle aurait tout donné pour apprendre ce que sa mère avait toujours refusé de lui enseigner...

La pouliche semblait stupéfaite, et le Maître sourit de satisfaction. Non pas du plaisir que son œuvre avait éveillait une grande admiration de la part de la pouliche, mais bel et bien parce qu'il savait à cet instant précis qu'il avait attisé son attention sur le pouvoir des éléments. Le don de la pouliche briller au fond de son cœur, un pétillement enfouie trop profondément pour qu'elle n'eut un jour l'occasion d'en user comme font tous les autres pour s'entrainer, s'amuser, découvrir ou épater. Son regard n'avait lâché la pouliche, observant le moindre de ses gestes comme si chaque détail avait une importance capitale. Le Maître lui avait montré une magie difficile à exercer car elle demanda la coordination de milliers de particules d'eau pour maintenir un visage bien défini, un corps et une mouvance. Pourtant, cette illusion n'est pas spécifique aux Maîtres de l'Eau, le peuple peut le faire, du moins ceux qui ont une expérience suffisante pour mettre en place un tel mécanisme.

« Tu sauras le faire, un jour. » Pause. « Non pas par l'Eau, mais par un autre élément que j'ignore de ta personne. »

Il lui adressa un sourire plus franc, mimant presque un clin d’œil à la demoiselle.

« Réfléchis-y, Fé... »

Le Maître la salua d'un mouvement de tête avant de reprendre son chemin au-delà de la source, aussi soudainement et silencieux qu'il était arrivé en ces lieux.

(Fini ? :) )

Sujet: Re: Vilain petit canard • Keïross [FINI]

Rechercher

Résultats par : Messages Sujets
Recherche avancée