Folâtrant allègrement sous la caresse du crépuscule, les rayons de la Lune trop ronde noyaient son corps d'un fin voile azurin, palpant ses muscles du bout de ses doigts. Tandis que les hautes herbes tendais leurs mains en divulguant sur ses flancs un frissonnement plaisant. Savourant l'harmonie nacrée de ce début de soirée, tous les sens en éveil, la pouliche se sentait en sécurité dans le royaume de la nuit, là où l'imagination s'infiltrait en nous tel un insidieux serpent, réalisant nos pires craintes, nos plus néfastes espérances, nos doutes les plus nuisibles... La nuit se plaisait-elle à être repoussante, ou était-elle navrée de cette cruelle image qu'on lui plantait dans le dos ? Nul, ne saurait le dire, mais cette nuit, la Lune était si ronde, comme un cœur prêt à exploser, un cœur mélancolique bercé par les violons de la nuits...

Le nez en l'ait, admirant le corps céleste voué à réfléchir la lumière plutôt qu'à la produire elle même, la petite demoiselle se dépatouillait tant bien que mal avec le flot de pensées qui l'assaillait d'un même échos. Perdue, fascinée, étonnée, nostalgique puis mutine, ses émotions volaient en éclat, s'éparpillaient dans l'air de la nuit alors qu'elle courrait pour les rassembler.
Perdition.
Puis un arbre malicieux lui fit un croche pied, et elle se vianda majestueusement dans l'eau spongieuse et fangeuse. Oui, l'arbre lui avait fait un croche pied ! Elle en était sûre, elle l'avait vu ! Derechef, elle se leva trop vite et tomba sur les fesses, glissant sur une algue qui l'avait sans doute fait exprès... Alors, plus précautionneuse cette fois, elle se releva prudemment avant de foncer sur l'arbre et attraper entre ses dents une des branches sur laquelle elle tira de toute ses forces, punissant le vilain arbre qui avait oser la faire tomber. Elle maugréait au passage des insultes mortifiantes, à en faire rougir une coccinelle :

-Tu fais 'oins 'alin 'aintenant hein ? Echpèce de cornichon des bois, va te 'rendre une chiure de 'ouette 'énopausée !

Pour une raison qui lui échappait, Danaé n'arrivait pas à s'endormir. Pourtant, la bulle d'eau qui l'avait accompagnée lors de la journée passée s'était éclatée sur le sol, démontrant une certaine fatigue chez la rouanne. Peut-être qu'elle pensait trop. À tout ce qui s'était passé les jours derniers, surement. Alors elle en conclut que cette nuit ne devait pas être une nuit pour dormir, plutôt une nuit pour gambader. Une voix étrange et enfantine le lui confirma. Tiens, le Royaume de l'Eau aurait-il enfin fait naître un poulain, annonciateur de période meilleures ? Que nenni, l'odeur qui accompagnait l'équidé était loin d'être celle des êtres de son élément ...

La jument s'avança vers le bruit, calme, mais résignée. Pour le moment, son odorat lui indiquait que l'intruse n'était pas du Royaume de l'Eau, mais aucune autre information. Peut-être la même pouliche du Royaume de la Terre que Danaé avait croisé au lac gelé quelques temps auparavant ? Pourtant, la jument l'avait ramené à la frontière en lui expliquant au possible que les territoires étaient fait pour être respecté ... Mais Fé lui avait été sympathique, et la rouanne se sentait d'humeur assez laxiste. Elle n'en fut que plus surprise lorsqu'elle aperçut, non pas une pouliche écorce, mais pie palomino, tirant sur la branche d'un des arbres des marécages ! L'odeur du Royaume de l'Air emplit les naseaux de Danaé. Ainsi leurs ennemis entraînaient les poulains dès le berceau à venir fouiner sur les terres de l'Eau ?

La pouliche paraissait pourtant inoffensive. Et seule. C'était surtout cela qui la marquait. Parce qu'il fallait faire cesser ce petit jeu qui ne mènerait à rien, l'arbre était enraciné depuis bien trop longtemps pour être arraché, Danaé rejoint la pie palomino et dit, un sourire au lèvres :

- Je doute fort que tu arrives à quelque chose. Regarde-moi comme tu es frêle et fragile. S'il pouvait penser, il se moquerait bien de toi !

Étant plus près, elle prit le temps de l'examiner de haut en bas. Sans se cacher, elle la détailla petit à petit, cherchant signe particulier ou autre. Elle fit un demi tour autour de la petite, pour la voir sous tous les angles. Décidément, sa robe était bien singulière pour une fille de l'Air ! Alors que ceux qu'elle avait rencontré arboraient des robes blanches, grises ou noires, la pouliche était plus ... colorée. Et bien plus plaisante ! La rouanne lui sourit :

- Quelle robe étrange ... Pour sûr, tu auras du succès auprès de la gente masculine. Je m'appelle Danaé, du Royaume de l'Eau.

Elle hocha la tête, pour la saluer. Mais pas trop bas. Elle était tout de même de 4 ans son aînée, la pouliche paraissait n'avoir passé qu'un printemps. Mais peut-être que la politesse apprendrait les bonnes manières à l'inconnue ? Cette rencontre allait décidément être très divertissante !