Requiem for a Dream [PV-Szèl]

Sujet: Requiem for a Dream [PV-Szèl] Jeu 12 Juil - 8:48

♦Requiem for a Dream

○"Oh! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage,
Si jamais vous n'avez épié le passage,
Le soir, d'un pas léger, d'un pas mélodieux,
D'un voile blanc qui glisse et fuit dans les ténèbres,
Et, comme un météore au sein des nuits funèbres,
Vous laisse dans le coeur un sillon radieux;"

Ce soir, toute la forêt semblait murmurer un chant sinistre, marqué par le son régulier de ses pas sur le sol. L'ombre blanche s'avançait, lancée dans une allure calme, ses crins d'ivoire oscillants doucement sur son encolure d'étalon. Ignoto marchait, sonnant le glas, annonciateur des pires nouvelles, peut-être. Mais qui ce serait risqué à se mettre sur son chemin? Il semblait, dans la confuse obscurité, plus léger que les fantômes même. Le bel étalon ne déviait jamais de sa route, préférant mille fois faire craquer les branches au sol que de s'écarter. Il semblait, en cet étrange instant, ne rien craindre. Pourtant, autour de lui, un étrange manège se jouait.

Il faisait déjà nuit, et Ignoto avait pu voir la lune, habillée d'argent, avant de pénétrer en ce sanctuaire. Les pâles rayons nimbaient les lieux d'une couleur iréelle, tout ne semblait n'être plus que rêve, ou cauchemar. A chacun de ses pas, toute la forêt murmurait, d'autres pas bruissaient, des ombres noires couraient. Quelle étrange magie tenait ces lieux? Mais rien, rien ne semblait l'atteindre. Etait-il suivit? Serait-il bientôt attaqué? Ne devrait-il pas s'enfuir? Non. L'étalon blanc continuait de marcher doucement, posant son regard noir et sans fond sur les arbres, appréciant la brise glacée du soir qui le berçait. Nulle crainte dans ses pas, il avait passé l'âge d'avoir peur, il ne voulait qu'une chose: vivre de sentiments intenses et profonds, vibrer de la moindre sensations. Et s'il devait souffrir pour sentir ce torrent de flammes dans son coeur, alors, qu'il souffre. Ignoto était un danseur, un de ces animaux qui vibrent du combat, un de ceux qui aiment à mettre sa vie en jeu, à danser sur le fil de la vie, à galoper sur l'étroite crête, et, une fois le précipice sous les yeux, à sauter, sans prière ni souhait, juste en savourant l'ivresse de la vitesse de la chute. Mourrait-il arrivé en bas? Qu'on tente seulement d'attenter à sa vie, il était trop léger, trop prompt, trop fou et démoniaque. Oui, Ignoto était déjà tombé, mais à chaque fois, malgré les blessures et la douleur, il s'était relevé, un peu plus fort et surtout, plus fou. Il ne voulait plus croire, et son seul refuge demeurait sa pensée, qui pourtant, par instant, le fuyait. Combien d'heures avait-il passé seul, enfermé dans une rage noire, sentant son sang battre à ses tempes, alors qu'il voyait rouge, et que rien, en ces tristes instants, n'aurait pu l'empêcher d'agir?

Ignoto possédait une somptueuse robe blanche, sur laquelle les mains du Diable s'était amusée à dessiner quelques pommelures cendre, reflet sinistre de son âme qui, peu à peu, dépairissait. Son corps semblait, au milieu de cette obscure forêt, un fantôme triste, passant doucement sur un sentier autrefois connu, aimé peut-être. La lune dessinait mille reflets sur sa robe, rebondissant parfois sur ses muscles saillants qui se tendaient à chacune de ses foulées. Alors seulement, arrivé à cette origine zéro qui n'avait de sens que pour lui, il s'arrêta. Ses naseaux étaient dilatés, et il respirait calmement, son poitrail se soulevant avec régularité. Enfin, comme pour dire qu'il était arrivé, Ignoto éleva son corps clair dans la nuit, frappant l'air de ses antérieurs, alors que sa crinière blanche s'était dressée telle une crête sur son encolure. Un hennissement puissant et rauque s'échappa de sa gorge.

Un éclair blanc. Un trait de lumière vive dans ce jeu d'ombres. Le peintre s'était trompé, avait pris du blanc, gâché sa toile. Ou l'avait-il embellie ? Avait-il volontairement éclairé cette huile noire d'un trait blanc ?

Ses sabots firent trembler le sol à nouveau. Szèl pouvait sentir chaque molécule d'Air sur son corps. Il faisait corps avec le vent. Aérodynamique, il glissait dans l'air comme une flèche dans le vent. Cette ivresse lui était si chère... Il ne l'aurait donnée pour rien au monde. Ivresse de courir, ivresse de sentir, ivresse de vivre. Semblant léviter, il zigzaguait adroitement entre les arbres, fantômes parmi les esprits, feu follets parmi les êtres. Szèl ne se sentait exister que lorsqu'il avait l'impression qu'il n'existait plus.

Soudain un hennissement rauque déchira l'Air. Le miracle s'écroula, le rêve s'arrêta net. Arraché à son euphorie, l'étalon s'arrêta net. Le silence retomba. Plus une onde, plus rien. La Forêt, comme dévoilée l'espace d'un instant, revêtait à nouveau son épais manteau de mystère. Szèl restait immobile, statue parmi les arbres. Ses yeux clairs tentaient de percer le secret des ombres, mais c'était davantage sur son ouïe et son odorat qu'il comptait pour découvrir de quoi il s'agissait. De qui il s'agissait. Dans ce climat de tension perpétuelle, Szèl devait être aux aguets sur qui tentait de pénétrer sur ses terres. Il secoua légèrement la tête. Ses terres. Il n'aurait jamais cru s'entendre parler ainsi un jour.

Puis soudain l'Air, semblant vouloir aider celui qui était son Maître bien malgré lui, apporta un bref instant l'odeur fugace d'un cheval. Szèl n'hésita pas. Tourna les talons, il se mit en marche sans hésiter vers la source de l'odeur. Son pas était assuré. On était loin du galop léger et infini d'il y a quelques instants. A présent son allure était posée, assurée. Chaque pas le rapprochait d'un possible danger, mais il s'approchait en sage. La lune, par ses rayons, rendait sa robe si changeante couleur argent, ce qui ajoutait encore à l'irréel de la scène.

Finalement il s'arrêta. Face à lui se tenait un étalon gris pommelé. L'air fier et assuré, Szèl eut pourtant la brève mais effrayante impression de voir un éclair de folie traverser les prunelles de l'autre. Le Maître couvrit l'inconnu de ses yeux azurs.

« Impressionant. »

Plus rien ne bruissait, alors que l'écho du cri de l'étalon faisait son chemin, s'étendant dans la forêt. Tout plongea dans une inquiétante torpeur, alors que quelques ombres couraient encore, mourant au détour d'un arbre, s'évaporant aux abords d'un rocher. Las, l'étalon gris promenait son regard sur les alentours, y cherchant peut-être une présence, ou, au contraire, s'assurant d'être seul. Immobile, sa robe d'argent parsemée de pommelures cendres était éclairée par un rayon de lune, faisant ressortir toute la pure pâleur qui s'y dessinait. Alors, un bruit de pas léger, sûr et lent frappa ses oreilles mobiles. Le bel étalon détourna dans un mouvement vif sa tête, scrutant les arbres serrés de ses yeux sombres. Bientôt, la haute silhouette d'un animal de sang s'en échappa.

Derechef, Ignoto le détailla. Il était fin mais musclé, et nul doute qu'il s'agissait d'un coureur. Sa robe semblait d'argent, et il flottait plus qu'il ne marchait. A cette idée, un étrange sourire s'empara du visage grave et sauvage de l'étalon pommelé, alors qu'il s'était lentement tourné vers l'inconnu, attendant qu'il s'approche un peu plus. Ignoto aurait juré que le mâle était plus jeune que lui, et l'air fier qu'il affichait lui arrachait des rires muets. Lui seul comprenait l'étrange maladie qui le tenait entre ses griffes acérées, lui seul savait la profondeur sans nom de sa folie; lui seul savait que personne ne pourrait jamais l'en sauver. Il avait joué une fois de trop, il avait cru pouvoir gagner, il avait eu foi en ses cartes, et il s'était retrouvé ruiné; misérable joueur de poker.

Il ferma un instant les yeux, voilant cette étincelle de folie qui dévorait ses prunelles, alors que son protagoniste posait sur lui deux yeux d'azur si profonds qu'il aurait pu s'y noyer. Alors, la voix de l'inconnu coupa court au silence, et tout s'éveilla. La forêt fut gagnée de multiples craquements secs: des branches écrasées par un quelconque animal, des os broyés, sinon. Juste à ce moment-là, le gris ouvrit de nouveau les yeux. D'un noir profond, ils semblaient ne pas avoir de fond, ils étaient pires que l'abîme, et ils invitaient, avec un étrange sort enjôleur, à venir se perdre en eux. Suave et prédatrice, la voix d'Ignoto s'échappa, répondant au mâle qui se présentait face à lui.

"Aurai-je l'humble droit de connaître l'identité de celui qui s'avance?"

Les yeux limpides de Szèl plongèrent dans ceux, sombres et sans fond, de son interlocuteur. Deux abîmes sombres, dans lesquels il était aisé de se noyer. Mais Szèl ne se ferait pas avoir à ce jeu-là.

"Aurai-je l'humble droit de connaître l'identité de celui qui s'avance?"

Szèl se retint de frissonner. Cette voix semblait vous envelopper, venue à la fois du fond des temps et pourtant sortie de l'être en face de lui. Suave et prédatrice, dans le silence de la Forêt, elle enveloppait complètement l'étalon perlino. Mais Szèl se reprit rapidement. Il fit le vide dans son esprit. La légère brise qui s'était levée s'éteignit aussitôt. Les craquements de cet univers mystérieux cessèrent, comme par respect pour cette scène presque mystique. Szèl sourit à demi. L'autre semblait persuadé d'avoir à faire au premier jeune étalon venu. Eh bien, qu'ils croie. Szèl aimait jouer aux marionnettes.

« Ce droit me semble accordable. Mon nom est Szèl. »

La voix de l'étalon perlino était posée, mais si basse que le son paraissait glisser sur le sol, pour remonter seulement le long des arbres, telle une brume épaisse. Tombés directement de la lune, tels deux morceaux d'astre nocturne échoués sur terre, les deux étalons argent se regardaient, duel immobiles de regards opposés. Après un silence impénétrable, Szèl ajouta, sans quitter des yeux son interlocuteur.

« Et vous, "humble" inconnu, quel nom vous donne-t-on ? »

La phrase d'Ignoto était tombée, avançant jusqu'à l'étalon, l'embaumant un instant, l'entourant et le serrant, avant de disparaître en un souffle, s'évanouissant aussi simplement qu'elle était née, qu'elle était venue jusqu'aux oreilles du mâle. Pourtant, quelque part dans cette forêt, un écho larmoyant semblait résonner, murmure clair comme du cristal. Etait-ce la voix du bel inconnu gris pommelé, ou un sort malin? Sans hésitation aucune, le guerrier aux yeux noirs soutint le regard d'azur, profond, de l'élégant Akhal-Téké. Malgré toutes ces apparences, Ignoto ne se fourvoyait pas: il savait que cet animal n'était pas qu'un simple jeune, errant par plaisir ou par masochisme en ces terres. Il était plus, bien plus que ça, mais il semblait vouloir s'en jouer. Qu'il en soit donc ainsi, si tel était le désir du jeune Maître. Ignoto avait aujourd'hui six ans, et, à travers ses savoirs, s'il y avait une chose qu'il pouvait bien affirmer, c'était que les rumeurs couraient bien plus vite que le vent même. En un instant, un inconnu pouvait être élevé au rang de roi, par le seul vouloir de ces folles rumeurs.

Alors que les mots de l'étalon coulaient, Ignoto se prit à sourire. Il regarda pendant longtemps le jeune entier, appréciant sans doute la formule qu'il avait employé pour lui répondre. Cette infortuné grimâce dessinait son visage furieusement sauvage sous un jour tout nouveau, alors que les rayons lunaires dessinaient comme des halos de lumière autour d'eux, les faisant plus divinités que mortels. Szèl. Alors que ses yeux étaient grands ouverts, Ignoto sombra en lui-même, sa pensée s'enfonçant dans son abîme de mémoire, cherchant où et quand il avait pu entendre ce nom, cherchant à savoir s'il avait entendu, alors qu'en voyage, courir le murmure de ces lettres aux doux accents. Il cherchait, cherchait en profondeur, remontant une foule de souvenirs, cherchant toujours. Il abandonna finalement cette sombre introspection, préférant se concentrer sur l'équidé qui lui demandait alors son identité. Précédent sa réponse, une quinte de rire s'échappa de sa gorge. Un rire étrange, ni gras ni gros, ni furieux, mais carnassier, comme le rire d'un fou, d'un assassin, d'un joueur "bouffé" par les passions.

"Le vent a déposé au creux de mon oreille, alors que je naissais, le nom simple d'Ignoto. Ou Inconnu, ici."

Encore une fois, sa voix suave et prédatrice avait coulé, glissant de sa bouche par ses lèvres à peine entrouvertes, résonnant dans un écho tendre mais, on le craignait, trompeur. Pourtant, l'envie de voir ce qu'il se cachait derrière ce masque était à écarter. Sa voix était enchantement, et pour rien au monde nous aurions voulu découvrir le ton du prédateur qu'Ignoto était.

Cette voix sans âge, venue du fond des temps, aurait fait trembler n'importe qui. Chaque son que le ris prononcait semblait extrait d'un abime sans fond, d'un gouffre de souvenir, d'une faille remplie d'écho d'un temps révolu. Qui était-il ? d'où venait-il ? Et cela avait-il réellement une importance ? Szèl ne cherchait pas à percer son secret. Il est des êtres sur cette terre qui n'ont pas besoin d'expliquer ce qu'ils sont. Il est des évènements qu'ils nous faut accepter, postulats décrété par le bien (ou le mal) commun, issu d'une époque dont seules les légendes relataient quelques bribes. Et plus il regardait, plus le perlino était persuadé qu'Ignoto était tout et était rien à la fois. Fou ? Fort probablement. Mais pourquoi le fascinait-il ainsi ? Tandis que Szèl avait l'impression que l'autre l'avait sondé jusqu'au fond de son âme, Szèl, lui qui en sa qualité de Maître sentait d'habitude si bien les choses, avait le vertige chaque fois qu'il se penchait sur cet inconnu. Peut-être parce que se pencher au-dessus du vide, surtout celui-là, était un risque à ne pas prendre.

« Ce nom vous sied admirablement bien. »

Y avait-il meilleure description qu'Inconnu pour un être tel que lui ? Y avait-il meilleure description qu'aucune pour un être qui semblait n'être rien et tout à la fois ? Sans doute pas. Szèl fit un pas. L'Air, perturbé par ce mouvement, se tordit imperceptiblement, les particules s'entrechoquant et le mouvement se propageant, comme une onde à la surface de l'eau. L'étalon clair était ici en présence d'un être aussi fou que fascinant, et il peinait à abandonner ses tentatives à le comprendre. Soudain le ciel craqua, un trait de lumière pure déchira les ombres. L'éclair disparut aussi vite qu'il était apparu, et tandis que la Forêt resonnait du grondement furieux de l'orage, la pluie s’abattit sans pitié. L’Eau. Elle tombait en trombe, drue et glaciale, sur les terres de l'Air. Szèl pouvait sentir l'Air se charger d'humidité, devenir plus lourd et plus froid. Il sentait chacune des parles glacées qui roulaient le long de sa robe à présent couleur de ciel avant l'orage. Ignorant la pluie qui inondait la Terre et les trempait jusqu'aux os, Szèl ajouta sur le même ton calme et posé :

« Et que venez-vous faire en cet endroit ? Cherchez-vous à percer le secret des ombres, ou maîtrisez-vous l'Air au point de vous confondre parmi elles ? »

Ignoto ne savait rien. Il ignorait tout de cet étalon, tout de ces lieux, et tout de cette étonnante magie, de ces étonnants pouvoirs qu'il tenait à présent au plus profond de lui. Il avait toujours été un vagabond, le plus libre d'entre tous sans doute. Jamais il n'avait hésité, rien qu'une seconde, à s'élancer sur les pistes inconnues, sur les chemins barrés. Il savait se défendre, trouver son chemin, se nourir et veiller sur lui, il n'avait besoin de personne, et s'aventurait partout. Jamais il n'avait dévié de sa route pour contourner un obstacle. Il avait toujours filé droit, préférant traverser des marécages plutôt que de ralentir son avancée, plutôt que de se retarder. Pourquoi tenait-il tant à être "à l'heure" sur son chemin? Nulle part il n'était attendu. La raison était bien trop forte, il se sentait appelé, le bel étalon, appelé par une force plus grande et mauvaise que toutes les autres, et c'était sans appréhension qu'il y répondait, en marchant droit, sans jamais dévier de sa trajectoire. Et pourtant... Ignoto était un guerrier. Un guerrier des plus fidèles: jamais il n'hésiterait à sacrifier sa vie pour l'honeur de son clan, pour sauver les siens. Pour sa famille, il aurait tout fait. A cette pensée, un long soupir s'exhala de ses poumons, coulant comme un souffle de vie au milieu des troncs serrés.

"On me le dit souvent, et je cherche à ne rester que cela, un inconnu qui passe et qui ne s'arrête pas."

Qui ne s'arrête pas. Quitterait-il donc cet endroit? S'enfuirait-il un jour au milieu des rafales, courrait-il vers de nouveaux landemains, tant qu'il en avait encore le temps, l'énergie, la force et l'envie? Irait-il ainsi, seul et fou, jusqu'au bout de la Grande Nuit? Jamais il ne s'arrêterait donc? Le bel entier vivait en marge des systèmes, ne répondant qu'à une loi malgré la fidélité qu'il affichait. Peut-être reserait-il un an, peut-être une semaine, ou peut-être même qu'il s'en irait dès la discussion achevée. Il était libre, libre de tout ses gestes, et plus prompt que le vent quand il s'agissait de disparaître. Mais quelque chose l'avait attiré ici, l'appelant d'une voix profonde et grave, lui montrant le chemin et l'appelant, toujours et sans cesse. Etait-il parvenu au terme de ses voyages?
La voix calme de Szèl le ramena à la réalité, et il regarda avec plus d'intensité encore, alors qu'une pluis glacée s'abattait sur eux. Le bel étalon perlino semblait n'y prêter aucune attention, et Ignoto l'imita, même s'il ne put s'empêcher de réfréner un regard vers les cieux. Qu'était-il venu faire ici? Que cherchait-il en ces lieux tourmentés? Il n'en savait rien. C'était l'instinct, juste l'instinct, le cri sauvage et sourd, la chose la plus bête et brute, la plus féroce: c'était l'instinct.

"Quelqu'un a dit que "nos jours passent comme l'ombre". Serait-ce donc le temps que nous voyons? Serait-ce donc lui qui court, qui se cache et qui glisse, qui vient danser jusque sous notre nez, en se moquant d'une voix profonde, alors que notre temps s'écoule et file? Je ne sais pas jeune cheval. Je ne sais pas ce que je suis venu faire ici, et peut-être même ne le saurai-je jamais. Maîtriser le vent au point de me confondre parmis elles? Je peux chasser les nuages, je peux amener l'orage. Mais me confondre avec les ombres... Jeune etalon, le peux-tu? Pourrais-tu m'apprendre ton secret...?"

Terriblement grave, sa voix s'était encore échappée, trahissant ses vieux rêves et ses doutes, trahissant un des mals qui le rongeaient, alors qu'il était encore si jeune...

Désolée pour le retard :oops:

Szèl ne dit rien. Il se contentait de regarder l'autre, de l'analyser de son regard couleur d'eau tropicale. Ultime statue à la gloire d'une dynastique défaite, dernier témoignage d'une série de Maîtres fous de pouvoir, qui, murmurait-on, avaient conduit Denmoriny à se perte et les Royaumes à la guerre. Mais au diable les légendes. Que les ténèbres se repaissent de ces croyances, que les plaintes des disparus retournent dans les tréfonds de l'enfer d'où l'imaginaire fantasque et irrationnel des Denmoriniens (ça existe ça ? ) les avaient extraites. Szèl n'avait que faire de toutes ces histoires, ces élucubrations soi-disant historique. Il était comme le vent : nouveau. L'Air qui soulevait doucement les dernières feuilles mortes de cette forêt fantôme n'était jamais le même. Szèl était comme le vent : changeant et habile. Il savait couler autour des gens, pour mieux les prendre à revers plus tard. Son interlocuteur ne ferait pas exception. L'étalon perlino, même s'il ne pouvait nier la fascination qu'exerçait Ignoto sur lui, n'allait pas se laisser par cette voix grave et sortie du fond des temps. Il releva la tête et cette fois s'éleva, claire et décidée. Elle s'accrocha au vent, tourbillonna dans la clairière, bondissant au gré des envies de l'Air.

« Un secret n'en est plus un s'il est connu. Mais je t'en prie, entre dans la danse, cher Inconnu ! Viens faire quelques pas avec ou contre moi, le choix t'appartient. Tu prétends maîtriser l'orage et les nuages. Voyons si tu es venu au gré de tes pas vagabonds ou si tu as simplement enfin atteint la terre à laquelle tu appartiens. Viens, Ignoto, dansons ! »

Et à ces mots, Szèl fit une légère pirouette. Le vent dans la clairière s'intensifia, les arbres morts, victimes muettes des caprices des membres de l'Air, se secouèrent. Les craquements des branches sèches envahirent le silence épais de la forêt de sombres; Un éclair déchira le ciel, le grondement, semblalble au galop de mille chevaux, secoua l'Air. Szèl voulait voir ce dont l'autre était capable. Il avait la carrure et l'allure d'un guerrier, puissant comme un combattant à main nue mais escrimeur émérite. Sous la volonté du perlino, l'Air s'accéléra, se tordit, puis tourna, tourna, tourna, encore et encore, jusqu'à former un tube parfait. Sombre comme l'orage, la petite tornade s'élança. Que la danse commence !

Parfois, l'étalon blanc se dessinait sous les traits d'un vieu sage, à la folie ambigüe, et qui n'était capable d'asséner que d'étranges phrases. Mais, à d'autres moments, Ignoto laissait ressurgir l'Instinct, qui se trouvait d'autant plus fort qu'il était convoqué. Pourtant, face à Szèl, il semblait contenir cette part de lui-même qu'il reniait, cette part de lui-même qu'il ne comprenait décidément pas. Le jeune perlino semblait aussi plein de sagesse, mais il avait le désaventage d'être jeune, et il ne connaissait pas encore tout de la vie. Et face -ou avec- lui, un bien étrange animal, que plus rien n'effrayait, et qui n'avait pas peur de mourir, puisqu'il considérait avoir vécu. Mais le schéma de sa vie était étrange. Il ne rimait pas avec "j'ai tout connu", mais plutôt avec "j'ai déjà trop donné.". Rongé par un Mal sans nom, l'étalon blanc semblait parfois las, mais de la guerre, il ne l'était jamais, aussi, il renchérit à la suite de Szèl, sur le même ton envoûtant et décidément troublant:

"Et je viens sans attendre Szèl. Ebauche une oeuvre, et je la finirai. Donne le dernier trait, et je bâtirai les premiers. Dansons côte-à-côté, et dis-moi si nous nous entendons. Dis-moi ce que nous sommes l'un pour l'autre, dis-moi si un jour, je pourrai moi aussi courir avec les ombres. Danse, parle, court, hurle et exulte. Le monde nous appartient, et rien ne résiste à l'air, tout s'applatit face à lui."

Sans un mot de plus, l'étalon blanc se cabra, ses membres noueux tranchant l'air, alors qu'il sentait une nouvelle force le parcourir. Bientôt, ses membres étaient chatouillés par le vent, et le voilà qui priait. Alors qu'il fixait la svelte tornade, il invoquait à lui les cumulonimmbus, les orages et la foudre. Ils arrivèrent de nulle part, comme s'ils avaient le pouvoir de naître d'une seule volonté. Habillés de noirs, les imposants nuages glissaient peu à peu vers la tornade, et, dans un éclair violent, ils s'y mêlèrent, dansant avec elle et à son rythme, ornant ses pas de foudre et d'éclairs.

Noire, haute et zébrée d'éclairs, elle était belle, et ne demandait que plus de violence. L'Inconnu lança un regard complice à Szèl, l'invitant à poursuivre l'oeuvre qu'ils bâtissaient ensemble.

Sujet: Re: Requiem for a Dream [PV-Szèl] Dim 23 Sep - 0:43

Bientôt, ce qui n'avait été qu'un trait clair dans le ciel noir devint un tube brute, une danseuse furieuse qui tournoyait et arrachait la piste sur laquelle elle esquissait ses pas. Elle était là, leur tornade, s'abreuvant de la puissance du ciel. La pluie, arbitre impuissant de ce spectacle grandiose, leur giclait au visage, glaciale et sans pitié, battant le rythme de cette danse nouvelle. Le grande paradoxe était que ce tube noir aurait du tout arracher sur son passage, mais que la forêt ne bougeait pas. La magie de cet endroit résidait-elle là ? L'Air ne pouvait détruire cet environnement sur lequel il régnait.

Dégoulinant d'eau froide, ses crins crèmes collés sur son encolure gonflée par l'effort, Szèl semblait soudain avoir prit cent années. Dans son regard azur brillait l'héritage de la dynastie de l'Air, dans son souffle résonnait celui de tout un peuple. Le perlino ronfla bruyamment, son antérieur frappa le sol. Et la tornade, hurlante, tournoya encore plus vite. Le Maître voulait tester les limites que pouvait atteindre Ignoto. Il voulait voir jusqu'où sa force le maintiendrait, jusqu'où son esprit et son corps se soutiendraient avant de se déchirer.

Le tourbillon de vents hurlants sembla s'accélérer encore. Elle tournait, encore, encore, toujours plus vite, autour des deux étalons. Leur enfant devenait monstre. Bientôt elle forma autour d'eux une muraille. Son oeil se dilata, et de tornade elle devint cyclone, monstre cyclope que rien ne semblait pouvoir arrêter. Mais le point de rupture n'était pas encore là. La pluie avait disparu, incapable de franchir le mur d'Air qui lui barrait la route. Et lorsqu'enfin l'orage ne servit plus qu'à abreuver ce cyclope insatiable, le soleil au-dessus d'eux apparut dans l'oeil et vint les éclairer. Le regard de Szèl étincela lorsqu'il croisa celui du gris. Quelle serait la prochaine étape ?

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