L'herbe rase de la lande semblait s'enflammer à chaque secousse que la maigre bise provoquait. Chaque brin, indépendant, se mouvait au rythme du vent, s'agitant gracieusement de gauche à droite. Le tapis d'herbe grasse avait jaunit, et sous le soleil ardent de cet été brûlant, il en était devenu orangé. Là-haut, là où l'on ne discerne plus aucunes frontières, tout était dégagé. L'azur de l'étendue autrefois pâlichonne, s'imposait face au gris morose des lourds cumulus qui se dandinaient avec difficulté dans le ciel. Quelques courageux volatiles osaient rayer de leur vol la surface plane, impeccablement bleue. Shams s'époumonait. Depuis le matin, la délurée se brûlait les yeux à vouloir observer les oiseaux virevolter en un ballet de danse silencieux. Les oreilles pointées vers le ciel, la tête orientée en haut, la jument était complètement ailleurs. Cambrant son dos, elle parvenait à rendre la position plus confortable pour sa nuque, qui jusque là devait supporter le fait qu'elle garde la tête vers le haut. Elle laissa échapper un mince filet de soulagement et reporta son attention sur les danseurs du jour, avide de voir si elle avait raté quelque chose. Les plus petits effectuaient des cercles autour d'un groupe d'une vingtaine d'oiseaux plus grands, qui survolaient la montagne, formant le V basique de l'image qu'on leur avait accordée. La jolie brune les suivit des yeux. Le regard rivé sur ceux qu'elle enviait, tout lui semblait possible.

Se trouvant en haut de la montagne, elle dominait logiquement la plaine qui succédait le mont. Se redressant et arquant l'encolure, la princesse déchue observa les veines de la terre. Tout paraissait si différent, si calme.

Soudain, elle se figea. Elle n'était pas seule et dès à présent, elle le sentait. Tous les muscles de son corps se contractèrent en un seul mouvement et elle déglutit avec difficulté. Se sentir épiée était l'une des pires sensations possibles.Crispée, la jument jeta un regard circulaire autour d'elle, cherchant la moindre présence. Rien. Il savait y faire, cet inconnu. Les oreilles corbeau de la petite s'agitèrent silencieusement tandis que son souffle s'accélérait dangereusement. Son sang battait fiévreusement contre ses tempes et son coeur entamait maintenant une cavalcade en un rythme endiablé. Elle secoua rageusement la tête, peinée de s'être fait prendre, et ses crins aux reflets roux retombèrent en cascade le long de de son encolure fuselée.

La tension était palpable.
Et à la limite du supportable.

Des pas se firent entendre derrière elle. D'un coup puissant de reins, elle effectua un demi tour sur elle même, croyant faire face à ce tyran, mais non, rien ne venait lui barrer la route, pas même une ombre ou un fantôme. Shams soupira de désolation, devenait-elle folle à présent ? Une effluve lui étant inconnue vint chatouiller ses sens. Un étranger. Ici. A se dire qu'il aimait les risques. Une odeur sucrée, mêlée au goût acre de la vie sauvage, complétée par une pincée de présence masculine, toi ?

Se sentir observée devenait l'une de ses activités favorites. La silhouette sombre se profilait au détour d'un arbre qui présentement faisait office de cachette au nouvel arrivant. Cette fois ci, la noire n'était pas en faute, elle était sur ses terres et s'était assurée que personne ne se trouvait ici, au risque de de nouveau embêter quelqu'un. C'était donc l'inconnu qui se trouvait en faute, et se sentir en position de dominante la rassura tout de suite. Ses muscles se détendirent tout de suite et elle pu afficher une autre expression que celle qu'elle affichait depuis l'arrivée du cheval. Justement, l'étalon la détaillait de la tête aux pieds. Shams sentit ses yeux briller de se sentir autant dévorer mais n'en fit rien. Elle se contenta de lui rendre la pareille et observa les courbes de son corps. Le mâle avait été servi par la nature, ses muscles noueux roulaient sous une magnifique robe sombre. Mais le mieux, c'était ses crins. L'étalon possédait une sublime crinière couleur or qui retombait en cascade le long de son encolure foncée. Il avait un physique avantageux, et semblait en être conscient. La brune laissa son regard s'attarder sur les épaules rondes et massives du cheval, puis sur sa croupe cendrée. Elle se reprit aussitôt et reporta son attention sur le visage du cheval. Celui-ci agita sa tête, et son toupet vint lui barrer les yeux. Shams fixa intensément ses prunelles sombres, alors que l'étalon ouvrait la bouche.

« Surprenant... territoire.»

Surprenant était le mot complètement adéquat à la situation. Ils se faisaient face tous les deux. Elle, paralysée, les quatre pieds ancrés au sol. Lui, fière, à l'aise, le poitrail bombé. Un sourire malicieux vint étirer ses lèvres. Niaise, la noiraude lui rendit son sourire. Alors qu'elle allait lui répondre que oui, les territoires feu étaient bel et bien les plus étranges qu'elle ai vus, le mâle continua, sur la même lancée.

« Ne vous dérangais-je point? »

Nouveau sourire, beaucoup plus fin, moins provocateur. La brune aux crins roux ondula, finalement, il n'avait pas l'air si insupportable. Elle se plia à son sourire et lui rendit, rayonnante. Il était rare qu'elle rentre dans le jeu des étalons, mais là, elle ne pouvait pas se priver.

« Oh non ! lâcha-t-elle en souriant de toutes ses dents. Doucement, elle pencha la tête et ajouta, plus doucement, d'une voix éraflée. Au contraire. »

Shams eu un instant de recul. Il était sur les terres de Feu. Et il n'avait rien à y faire. Et elle, pauvre aguicheuse, l'accueillait en un sourire poli et charmeur plutôt que de l'interroger sur sa présence ici. Elle était folle. Mais elle s'en foutait. Depuis petite, en elle c'était l'anarchie, depuis petite, elle se foutait des règles qu'on lui imposait. Elle, ce qu'elle aimait, c'était jouer. C'était profiter. On lui disait de ne pas manger ceci, elle y croquait dedans à pleine dents, on lui disait de ne pas boire cette eau, elle l'avalait à gorge déployée, on lui disait de ne pas se rendre dans un endroit, elle y galopait la minute d'après. Elle était comme ça. Elle se répétait sans cesse que les règles imposées étaient faites pour êtres transgressées. Alors elle se faisait le loisir de s'en charger. Les orbes bleutées du mâle la survolèrent pour revenir se loger dans le regard noisette de la jument.

« Vous m'en voyez ravi. Vous ne verrez pas pas d'inconvénients à quelques instants de compagnie? »

L'étalon laissa sa phrase en suspens. Shams sentit ses yeux briller. Elle ne voulait pas paraître trop ouverte, trop niaise, trop ceci et trop cela. Elle voulait conserver cette force qui lui avait permis de garder la tête sur les épaules. Elle voulait qu'on la voit comme une jument des plus fortes. Elle voulait être sensible mais pas trop. Séduisante mais pas trop. Drôle mais trop. Souriante mais pas trop. Elle voulait toucher la perfection. Mais à quoi bon ? A qui pourrait-elle se la vanter cette perfection ? Le résultat était là. Quoi qu'elle fasse, il n'y avait personne pour le remarquer. Personne.

« J'en serais très heureuse. »

La noiraude ponctua sa phrase d'un sourire en coin. Puis, elle leva les yeux au ciel. Que faire ? Engager la conversation ? Le laisser faire, car même si elle se refusait d'y croire, il devait avoir beaucoup plus d'expérience avec les autres qu'elle ? Secouant vivement la tête, elle éparpilla ses crins aux reflets rouquins sur sa longue encolure sombre et tourna la tête vers lui. Ce n'est qu'a ce moment là qu'elle remarqua les orbes du mâle. Ils étaient impeccables, les pupilles étaient d'un noir de jais à faire pâlir tandis qu'autour des deux points noirs, flottaient deux cercles bleutées, identiques à deux rivières où peu de monde osait entrer. Il venait de l'Eau. Et bien que cela paraissait logique, le feu et l'eau n'était pas deux éléments pouvant s'allier facilement, bien que les rapports inter-claniques n’étaient pas sur tensions. Il était donc l'opposé l'un de l'autre. Et pourtant, il semblait que l'un comme l'autre, ils voulaient en savoir plus.

L'étalon posa son regard sur le paysage qui les entouraient. L'imitant, Shams fit quelques pas vers le vide. Un frisson remonta le long de sa colonne tandis qu'elle observait les terres qui ne semblaient plus finir jusqu'à l'horizon. Un instant, elle s'imagine dégringoler la montagne. Tomber. Elle sentit ses jambes fléchirent. Elle s'imagina dans l'air, durant les quelques secondes avant qu'elle ne heurte le sol. La vision de son corps frappant sèchement le sol, de sa tête s'éclatant contre la roche et de sa masse, dénuée de vie s'implanter dans le sol lui décrocha un spasme. Surprise, elle recula de quelques pas, prise de panique.

« Merveilleuse vue, ne trouvez-vous pas? »

La voix du mâle la sortit de sa transe. Elle hocha la tête, soufflant un "oui, vraiment magnifique" presque aspiré par son souffle saccadé.

« J'espère ne vous avoir offensé de cette approche si peu... convenable. Mais j'eus remarqué votre -intérêt- pour ce paysage. J'ose croire que vous avez été happé par sa magnificence... »

Noble de sa part. Shams lui rendit son sourire. En effet, le paysage la fascinait. Elle se sentait tellement petite, vulnérable et inutile face à l'immensité de la nature. Et elle était capable d'observer les terres des heures et des heures durant, sans se lasser.Cela pouvait paraître idiot, mais elle, elle aimait ça. L'eau, le vent, les arbres, tout l’impressionnait. Et elle ne le cachait pas.

« Souhaiteriez-vous faire quelques pas ? »

Une nouvelle fois, Shams fut surprise. Jamais, non jamais, personne ne lui avait proposé de "faire quelques pas". Son regard croisa les orbes bleues électriques de l'étalon, et miraculeusement, elle s'y sentit bien. Se redressant, elle fit quelques pas et vint se placer aux côtés des flancs de l'étalon. Elle s'en approcha, sans trop se presser, ne voulant pas gâcher cette ambiance soutenue dans lesquels ils étaient plongés et où elle se sentait bien.

« Allons-y ... » souffla-t-elle en esquissant un rictus amical. « Peut être allez vous trouver ça surprenant comme question, mais vous abordez souvent les gens de cette manière ? Enfin je veux dire, vous faites souvent dans la sociabilité ? »

Shams ne put contenir longtemps son éclat de rire. Délicatement, elle pencha la tête, cachant sa crise de sourire. Enjouée, elle jeta un regard à longtemps qui ne devait pas vraiment comprendre qui était celle folle dingue campé sur quatre pattes.

Les deux chevaux marchaient doucement, chacun veillant à ne pas dépasser l'autre. Shams calqua ses pas que ceux du mâle qui sembla faire de même et bientôt, ils se,réunirent un parfait rythme qui leur convint à eux deux. La noiraude était bien. Elle sentait leurs corps s'effleurer. Elle n'était pas excitée, pas nerveuse, non, elle était juste bien. Son épiderme entrait en contact avec celui du mâle, pour un millième de secondes peut être mais cela suffisait bien. Elle n'était pas là pour s'enticher, bien au contraire. Ils avançaient, avalant le chemin sans se soucier du paysage. En effet, la jument perdait la raison. Pouvoir discuter de cette manière la rendait muette pour tout autre chose, le paysage en faisant partit. Pour réponse à sa question, le mâle déversa un regard rieur sur la jeunette, irradiant ses orbes. Celle-ci ne pu s’empêcher d'esquisser un mince sourire, c'en était presque drôle.

« Seulement avec ceux qui prêtent encore une riche valeur à la vie. »

Lâcha-t-il, comme si il se sentait obligé de répondre à sa question. A ce moment là, la brune se sentit de trop. Elle s'en mordit intérieurement les doigts, sa curiosité la ferais payer un jour ! Se tortillant, un peu mal à l'aise, elle chercha quelque chose à dire mais rien ne vint. Et en quelques secondes, à peine le temps de retourner la phrase dans sa tête, que déjà l'étalon embraillait sur autre chose, le sourire aux lèvres. Non rancunière ni perspicace, elle le laissa faire, lui offrant une meilleure écouté, sérieuse et concentrée. Elle ne put s'empêcher de glisser un « Pardonnez ma curiosité. » coupable, lui coupant presque la parole.

« Cette question est surprenante, oui. Comment abordez-vous les gens dans ce cas? Cela aiguise ma curiosité. »

Une nouvelle fois, il termina sa phrase d'un irrésistible sourire en coin. C'était presque devenu comme un petit manège entre eux. Les sourires en coins, l'utilisation du mot surprenant, et tout autre petit détail qui venait peu à peu allumer des étoiles dans les yeux de la noiraude. La jument ne pu s'empêcher de pouffer délicatement de rire. Ses yeux pétillaient d'une joie enfantine tandis que ses naseaux se déformaient en un étrange sourire. Elle reprit sa cadence, retrouvant le pas rythmé du mâle sombre. Là, elle tourna lâchement son encolure et lui souffla, amusée :

« Généralement, je les laisse venir à moi. »

Entre eux, ce n'était pas comme d'habitude. C'était différent. La femelle le sentait. Peut être car au lieu d'échanger les formalités banales, tels que la raison de sa venue, son patronyme et même son état de santé, ils étaient tout de suite partit dans un délire fusionnel qui les faisait touner ensemble dans une osmose parfaite. La jument trouvait cela étrange mais cela lui plaisait. Et pour ne pas briser cette bulle de fantaisie qu'ils soufflaient peu à peu, elle ne l'interrogea pas sur son nom, son clan ou le pourquoi de sa visite ici. Il n'était pas question qu'elle brise tout. Cela ne venait que commencer, et c'était comme si elle sentait que leur relation était posée sur une lame de rasoir. Comme si à chaque mauvais pas, ils risquaient de tomber. Comme si au moindre faux mouvement, ils pouvaient se couper. C'était ça. Et elle, bien trop surprise de cet étrange échange, tâchait de rester immobile sur cette lame, évitant de glisser. Il la fascinait, et secrètement, au plus profond d'elle, elle espérait en faire autant de son côté.

« Je crois.. bien vous reconnaître là. »

Murmura l'équidé à la robe chocolat, malicieux. La noiraude s'en réjouit. Elle faisait de l'humour, et lui, s'y prêtait également. Leurs pas étaient toujours accordés, malgré que les veines de la terre soient tout aussi escarpés qu'une montagne d'éboulis. La jument attendit autre chose. Puis, au bout de quelques minutes, comprit qu'il ne dirait plus rien, laissant simplement son silence la satisfaire. Celle-ci avala sa salive, et tournant son regard de gauche à droite, lâcha, faussement touchée.

« Dois-je prendre ça comme un compliment ? »

Esquissant un sourire, elle fit les gros yeux, comme si elle avait été réellement offusquée de l'avance de l'étalon. Puis, elle reporta son attention devant elle et continua en se dandinant, à lâcher de petits "oh" de surprise, comme une de ces dames chics qu'on brusque un peu trop.

« Oh et puis non, ne répondez pas, après tout, cela m'importe peu. »

Et à son tour, elle s’emmura d'un silence amical.

| Rah, j'aime ce rp ! |

A nouveau, l'étalon l'observa discrètement. La jument ne ressentait plus les mêmes choses qu'au début. Les premières fois où le regard de l'autre s'était posé sur elle, elle s'était sentie à nu, comme touchée en plein dans son intimité. Puis, au fil de leur conversation, les frissons s'étaient envolés ,ainsi que ce doute et cette anxiété de l'inconnu. Maintenant, elle se livrait à lui comme si ils étaient de bons vieux amis, mais en conservant tout de même cette légère retenue qui leur faisait garder une distance. C'était comme si ils étaient séparés par un gouffre, mais qu'ils n'y voyaient pas d'inconvénient pour discuter. Elle voulait se confier à lui, trouver en ce cheval mystérieux ce qu'elle n'avait jamais trouvé dans tous les autres. Elle voulait simplement pouvoir écouler ses flots d'amour, de sourires, de gaieté ... Elle voulait faire de lui la victime de son simple et pure bonheur personnel. Égoïste ? Certainement.

« Prenez cela comme l'unique façade qui m'eus permis d'approcher. Sans regret. »

Cette phrase lui arracha un sourire. Elle qui aurait voulu rester de marbre, craqua. Il savait y faire, ce bougre. Ses oreilles dansèrent lentement vers lui avant qu'elle ne croise son regard taquin. Le mâle ajouta, plus doucement, des éclats malicieux dans les yeux.

« Mais cela vous importe peu, n'est-ce pas? »

La jument le regarda, prête à lui décrocher un coup de dent amical mais n'en fit rien. Elle ne se le permettrai pas. Elle se contenta de prendre le trot, puis de s'installer dans un grand galop. Ils avaient quittés la montagne et déboulaient sur la vallée. La jument freina net et se retourna vers le mâle. Elle esquissa un sourire moqueur. Il voulait jouer ? Ils allaient jouer.

« Piquer un petit galop vous tenterez ? »

N'attendant pas sa réponse, elle vint se placer à sa droite, et murmura, le rire au bord de la gorge.

« Du moins, si vous vous en sentez capable ... »

Sur ce, elle démarra en trombe. Elle n'était pas de celles qui couraient plus vite que la lumière, non, elle, elle s'éclatait à repousser ses limites. Son encolure s'agitait vivement. Elle ne pensait qu'à une chose, accélérer, même si au plus profond d'elle même, elle espérait l'entendre la rejoindre.

La jument filait aussi rapidement que ses membres courbaturés lui permettaient. Elle remercia le ciel d'avoir donné la simple idée de marcher à l'étalon, car ces quelques pas lui avaient évité un claquage des moins agréables. Sa foulée était légère, pas tellement impressionnante. Non, elle manquait d'entrainement, elle en était consciente, et aiguiser la puissance du mâle chocolat était signer sa perte à elle. En souriant pour elle même, elle accentua ses foulées. Rapidement, ses sabots adoptèrent un rythme plus soutenu et elle martela habilement le sol.

Déjà, elle entendait le bruit sec et sourd de sabots frappant le sol, et un nouveau sourire éclaira ses lèvres. Il l'avait suivie. Alors il aimait jouer ... Ou simplement il n'aimait pas perdre. Un souffle saccadé par l'effort caressa délicatement son dos. Il l'avait rapidement rattrapée. Elle n'eut le temps d'accélérer qu'il vint se placer à sa droite. Dans ses yeux, le malice trônait encore, mais cette fois accompagné de ce petit air de défi qu'on trouvait dans les yeux des étalons lorsqu'ils s'affrontaient. Elle s'en délecta à peine, que déjà, l'étalon banda ses muscles qui roulèrent, heureux de se mouvoirent enfin et s'élança de plus en plus vite. La noiraude n'en fut même pas surprise. Chatouiller un étalon sur sa virilité et ses capacités à faire quelque chose .... c'était le pousser à repousser ses limites. Elle le regarda s'éloigner avant d'a son tour, pousser sa vitesse au maximum, le rejoignant au bout de quelques minutes. Elle avait du mal à tenir le train, elle n'était pas de ses équidés arabes qui filaient plus vite que la lumière elle même. De nature assez "lourde", sans non plus se retrouver avec un statut de cheval de trait, elle préférait largement les galops effrénés mais sans pour autant faire rugir ses muscles. Pourtant, c'est ce qu'elle fit. Elle puisa sa force quelque part, qu'elle ne saurait nous nommer, et attaqua le sol avec férocité. Elle allait prouver qu'elle n'était pas une poule mouillée, quitte à en ressortir à trois pattes et l'esprit brouillé.

Shams se surpassait, jamais elle n'avait galopé aussi vite. Son corps la brûlait de partout, son épiderme était à prête à craquer. Le vent fouetter son visage, brisé par cette longue liste couleur lait. Elle secoua la tête, rageusement, lorsque son toupet vint lui brouiller la vue. Elle se sentit prête à craquer mais dans un dernier espoir, conserva son allure. Le mâle la dépassa, passant juste sous son nez.

« Seriez-vous fatiguée, damoiselle? »

Oh que oui elle l'était. Ses muscles semblaient capable de la lâcher d'une minute à l'autre, son cerveau bouillonnait et sa croupe semblait plus lourde que jamais, mais elle s'entêtait à galoper. Elle galopait pour son égo, pour sa fierté, mais aussi pour lui.

Ils débouchèrent dans un vallon, où à gauche, se trouvait l'orée d'une forêt. Habilement, la jument traça pour se retrouver à la gauche du mâle. Elle tâcha de garder son allure. Puis, l'ouverture se dessina. Elle savait dès à présent qu'ils allaient changer de jeu. Il avait remporté la partie, certes, mais elle n'allait pas se laisser marcher sur les pieds. D'un coup de dent, elle attrapa une grosse mèche des crins ors de l'étalon, le forçant à ralentir, avant de l’entraîner avec elle, sur le chemin de cette petite forêt. Là, ils furent obligés de ralentir. La rouquine eu un sourire radieux et d'un signe de la tête, lui indiqua le plafond. Les arbres épousaient de leurs branches le ciel azur et, d'en bas, on voyait un ciel découpé par ces dizaines de bout de bois. Cela faisait penser à un art incertain, un peu baroque, avec de jolies décorations florales. La lumière pénétrait parmi les trous, et le jeu d'éclaircies était tout à fait impressionnant. Des faisceaux se croisaient et se recroisaient dans l'ombre. C'était son paradis. Et aujourd'hui, elle lui en ouvrait les portes.

« Félicitations, vous m'avez remarquablement tracée. » souria-t-elle, humble et bonne perdante. « A mon tour de vous impressionner ... »

La jument à la robe noire parsemée de reflets roux fut ravie. Les yeux de l'étalon ne savaient où se poser et le lieu semblait lui plaire. Encore un instant, elle savoura la douce température qui régnait ici. La chaleur était retenue par les branches mais se mélangeait tout de même à la fraîcheur de l'ombre, ce qui rendait l'endroit vraiment agréable. Elle se détendit donc totalement, laissant ses muscles s'allonger. L'adrénaline de la course s'effaça, et son rythme sanguin se calma, au fil des ses respirations sages. L'étalon avait fini de savourer la beauté du lieu et l'observait maintenant, un joli sourire aux lèvres.

« Vous ne faites pas dans le demi-mesure... »

En effet. Elle avait la fâcheuse habitude de mettre toujours le paquet. Souvent, cela lui apportait des résultats positifs, mais malheureusement pour la rouquine, il y avait aussi quelques fois du négatif. Vouloir toujours faire plus, faire le mieux pouvait souvent fatiguer les esprits irritables.

« Vous marquez un point. »

La notion de jouer lui atterrit de nouveau en pleine face. Ils n'avaient pas fini de jouer. Pourtant, elle se demanda quand même, un pincement au coeur si ils arriveraient un jour à remettre les pieds sur terre, à oublier le jeu, à être sérieux. Si un jour, plutôt que de se mesurer l'un à l'autre, de s'épater, ils arriveraient à passer du bon temps ensemble. C'était compliqué. Chaque relation qu'elle entretenait, même la plus fluide, le devenait.

« Où sommes-nous? »

Elle l'attendait cette question. en souriant, elle secoua la tête. Cet endroit, elle l'avait découvert sous peu, et l'avait nommé à sa façon.

« Je n'en sais rien. » Murmura-t-elle, rêveuse. « J'ai appelé ça "Les cordes du Ciel". »

Elle s'abandonna un instant à une rêverie. Tout était parfait, le lieu, la température et elle se trouvait en charmante compagnie.

|Le flash back sera raconté par petits bouts, donc tu vas pas comprendre tout du début ^^ Ton personnage colle parfaitement et j'ai déjà une idée sur l’évolution de leur relation x) |

« Savez-vous où mène cette allée? »

Une seconde suffit pour qu'elle reconnaisse ce regard. ce regard avec qui elle avait joué, autrefois, pour ensuite perdre et s'y soumettre. Ce regard pour qui elle aurait tout donné, mais qui avait finis par tout lui prendre. Ce regard qui l'avait lapidée, étranglée, étouffée, tuée, et re-tuée. Ce regard qui avait enfermé son coeur dans un étau indéniable. Elle tâche de ne pas y faire attention. Mais malgré elle, elle se sentait perturbée, transpercée par une vérité qu'elle avait du mal à s'avouer. Une seconde elle ferma les yeux et fut emportée là où elle ne voulait plus aller.

FLASH BACK.

- Oh, mademoiselle, vous pouvez me rendre un service ?

Elle marchait depuis quelques minutes, les yeux voilés, l'encolure basse, les joues éraflés par les ronces, et lui, il débarquait, frais comme un gardon, les yeux pétillant d'un malice incertain et les oreilles bien hautes et droites. Le premier instinct de la rouquine fut de se crisper, et de reculer de quelques pas. Malheureusement pour elle, l'autre en avait décidé autrement et s'approcha fiévreusement de son visage, soufflant son haleine de menthe directement dans ses naseaux. Une nouvelle fois, elle tenta de reculer, mais bêtement, elle cogna contre une parois dure et froide. Une pierre. Le mâle la rattrapa donc et eu un sourire vicieux. Lentement, il posa ses naseaux en haut de l'encolure de la jeunette et y attrapa un paquet de crins. Une fois qu'il les eut coincés entre ses dents, il tira doucement dessus. C'était son rituel. Le rituel du dominant sur sa victime. Le rituel du prédateur sur sa proie ...

FLASH BACK OFF.

Shams secoua la tête. Sa jolie robe s'était légèrement humidifiée. Une perle de nacre apparut au coin de sa paupière, pour finalement rouler le long de sa ganache et venir s’écraser au sol. Un fin filet d'écume blanche et mousseuse s'était déposé au coin de ses lèvres. Hâtivement, la rousse avala sa salive, enfouissant son passé au plus profond d'elle même, pour qu'enfin, il ne cesse de resurgir. Elle reporta son attention au mâle chocolat, qui attendait toujours une réponse à sa question qui dissimulait une certaine invitation à aller plus loin. Elle Le dépassa, tâchant de ne pas montrer son gène et avant même de s'élancer, murmura :

«Allons voir ... »

Elle sentait sa présence juste derrière elle et en fut rassurée. Il se contentait de suivre, docile, et assurément, ne posait aucune questions. Elle continua sa route, déambulant sur le petit chemin de terre meuble, où s'était déposé un tapis de feuilles mortes et d'autres végétaux. Elle le sentait, c'est tout ce qu'il lui fallait. A nouveau, un silence pesant les enroba, mais bizarrement, la noiraude s'y fondit et le trouva rassurant. Elle avait toujours préféré se taire plutôt que de dire des choses inutiles. Et aujourd'hui, elle était bien contente que l'étalon qui l'accompagnait ai fait le même choix.

« Quelque chose vous inquiète, damoiselle? »

Eh merde. Son soulagement venait de se briser en éclat. Shams hésita. En quelques secondes, elle dressa la liste des avantages et des inconvénients qu'elle auraient à se confier à lui.

AVANTAGES :

- Elle ne le connaissait que très peu, donc aucune "honte",
- Il était humble, il ne se permettrait aucun jugement,
- Il semblait sage et réfléchi, il lui apporterai peut être une solution,
- avoir l'avis d'un équidé du sexe opposé pouvais valoir beaucoup,
- elle ne serait pas obligée de tout lui dévoiler car il ignorait son passé entier.

INCONVÉNIENTS :

- Cette histoire pourrait nuire à leur relation naissante,
- Il pourrait prendre parti de l'autre et se retourner contre elle,
- Cette lueur au fond de ses orbes bleues pourrait refaire surface ...

« Non, tout va bien. » le rassura-t-elle e un sourire sincère.« Eh bien, on dirait qu'il n'y a pas grand chose à voir par là ... »

En effet, ils venaient de déboucher sur une plaine aride, chose très courante sur les territoires du Feu. La chaleur la prit à la gorge, la faisant suffoquer. En effet, restés trop longtemps à l'abri sous cet unique coin d'ombre, elle avait oubliée combien le soleil faisait des siennes à cette heure. Elle scella ses paupières, orientant son visage vers l'astre royal. Celui-ci vint déposer sa lumière sur son chanfrein, brûlant sa robe parsemée de roux.

Le mâle opina, presque déçu que le chemin de terre ombrageux ne les mènent pas vers un lieu paradisiaque. Shams se sentit soulagée qu'il n'insiste pas et le remercia d'un regard qu'il ne sembla même pas voir. Le coeur de la rouquine s'assombrit. Pour une fois qu'elle s'amusait, qu'elle souriait de toutes ses dents, il fallait que son passé revienne et lui saute à la gorge pour tout gâcher.

L'étalon chocolat proposa de s'arrêter ici, à l'orée du chemin, entre ombre et chaleur. Ils se trouvaient à la frontière du véritable territoire de Feu. Jusqu'ici, ils avaient évités l'aride chaleur, le désert, la poussière, l'herbe sèche, oui, ils avaient fait profil bas et s'étaient réfugiés sous les rares arbres, mais maintenant, se dressait devant eux la véritable nature de ce territoire hostile et déshydraté.

Une effluve de sourire glissa le long des lèvres du mâle, et elle ne put s'empêcher de le dévisager. Shams laissa son regard se voiler. Elle regarda le soleil qui disparaissait derrière les plus hautes montagnes et une pellicule blanche recouvrit sa pupille. Elle lui donna seulement quelques secondes, avant de tourner le regard pour ne pas finir aveuglée à vie. De nouveau, ses orbes noisettes se posèrent sur lui, comme se heurtant à un obstacle. Elle le regarda.

« Bonne idée. J'ai bien besoin d'une pause. »

Elle ponctua sa phrase d'un sourire. Un sourire qui voulait dire "excuse moi". Un sourire qui voulait tout arranger mais qui ne savait pas comment faire. Un sourire désespéré. Un sourire en péril. Un sourire qui menaçait de disparaitre dans les mois, voir les jours à venir. Un sourire qui ne demandait qu'a être pardonné. Un sourire incertain. Un sourire fatigué de devoir choisir. Un sourire lassé de la vie. Un sourire au bord du gouffre. Un sourire traduisant un appel à l'aide. Un sourire pénible qui ne voulait disparaitre. Un sourire d'incompréhension. Un sourire inaudible. Un sourire qui n'en était pas vraiment un.

Quelle putain de vie. Quel putain de destin. Elle était un vulgaire torchon qu'on ne cessait d'entortiller, d'essorer alors qu'il ne s'y trouvait plus aucune parcelle d'eau. Elle souffrait. Trop. Bien trop. C'était dur, de renoncer aux plaisirs qu'un lui offrait pour aller en trouver d'autres, bien plus différents, que pouvait lui offrir le second. Elle était au bord du gouffre, elle souffrait, le bord du néant était proche, bien trop proche, le vide l'attirait, et fiévreuse, elle se laissait aspirer par ce néant. La souffrance de devoir choisir était pour elle comme une dizaine de petites aiguilles, qui, chaque fois qu'elle prenait une décision la piquaient, la faisaient retrousser chemin. Elle tentait d'avancer, d'aller de l'avant, mais se trouvait sur sa route ces aiguilles, qui la rappelaient sans cesse à l'ordre, l'obligeaient à reculer, l'obligeaient à replonger. C'était impossible. Oublier. Un mot qui avaient bousillé son quotidien, écrasé sa joie pour remplir ses matins d'une haine affreuse qui la dévorait de l'intérieur, sans lui laisser le loisir de respirer un air frais et pur ; celui qu'on respire lorsqu'on est amoureux. Elle en avait marre, elle, de ne pas pouvoir sourire aux autres quand ils la félicitaient d'être en couple, elle en avait marre elle, de ne pas pouvoir remercier ses amis qui lui souhaitaient tout le bonheur du monde, elle ne pouvait plus. Elle ne pouvait plus ignorer les tambours de son coeur, qui s'emballaient dès qu'il s'agissait de parler de son passé. Elle ne pouvait plus. Elle allait céder. Toute sa vie, elle avait été le roseau, qui se moquait bien d'être frêle et fin, car il savait se plier, toute sa vie, elle avait été maline, toute sa vie elle avait su comment survivre face aux cruautés de ce monde, toute sa vie, elle s'était débrouillée, mais aujourd’hui, elle perdait patience. Aujourd'hui, c'était fini. Elle n'était plus cette jument forte et têtue qu'on admirait pour sa hargne et son incroyable capacité à avoir toujours son mot à dire. Elle n'était plus cette Shams qu'on regardait d'en bas, qu'on trouvait impressionante. Non, elle était ce maudit torchon, piqué par ses maudites aiguilles, mimant ce maudit roseau en train de rompre. Elle rompait, oui, c'était ça, elle se fendait en deux. Maudit destin. Cette fois, elle était seule face à lui. Seule face à ses choix. Seule face à son futur.

Elle chancela. S'écroulant contre un tronc elle s'appuya dessus, et se redressa. On aurait dit ses maigres chevaux, qui reviennent de loin et ne peuvent plus marcher ni faire de mouvements tant la fatigue a creusé leurs reins. Oui c'était ça. Elle n'était pas un roseau, ni un torchon, elle était une voyageuse. Elle était une voyageuse qui avait fait le tour du monde, découvert tout ce qu'il y avait à découvrir, fait tout ce qu'il y avait à faire, aimé tout ce qu'il y avait à aimer. Elle était sans ressources. Elle se perdait, gravement, elle s'égarait dans ce putain de monde.

Le regard de cet étalon lui faisait plus mal que tout. Ses pâles orbes qui semblaient vouloir la rassurer. Qu'était-ce cette sensation ? Il semblait lui tendre la main pour mieux la faire tomber. Qui était-il ? Que voulait-il ?

Un instant, elle laissa ses pupilles cerclés de noisettes s'attarder dans le doux regard de l'autre. Elle le fixa. Instant pure et sans mensonges.

« Pourrais-je vous demander de ne plus jamais me regarder avec ces yeux là ? »