Il la vit vaciller, perdre l'équilibre. Non pas le seul équilibre physique, mais celui de son être tout entier. Il voulu l'épauler, mais dans un effort immense se retint de le faire : on peut tendre la main à celui qui est tombé cela ne durera que quelques instants dans une vie, on ne peut épauler celui qui continue de se battre si l'on sait que demain nous ne serons peut-être plus là. Elle avait des armes, encore, elle en avait encore. Il regardait cette force mêlée au désespoir la déstabiliser. Pourtant elle ne tombait pas, non, elle ne tombait pas. Le Maître serra les mâchoires à s'en faire mal aux muscles et aux gencives, ce ne fut qu'une douleur pour distraire son inquiétude. En vain.
La demoiselle rompu le silence. Ce fut à la fois un soulagement comme une déchirure. Comment s'était-il permis de la regarder? Avait-il laissé ses émois transpercer l'impassible masque du rôdeur et du Maître? Il se tint droit, et ne cilla pas. Il aurait pu agrémenter sa réplique d'une légère boutade pour alléger l'atmosphère, mais le moment était trop important et grave pour que ce genre de réponse soit acceptable. Pire, il en aurait eu honte. Son âme bouillonnait, partagé entre l'idée de gratter plus encore cette couche, et celle de laisser la rouquine en paix. Il ne savait... il ne savait. Mais finalement il en vint à la raison, prenant ce qui était certain : cela était beaucoup trop précoce. Elle lui avait offert un lieu intime à ses yeux, qu'elle connaissait et l'avait-il compris, chérissait. Il n'avait aucun droit d'aller plus loin, aucun droit de faire ressurgir tant de sentiments chez l'inconnue.

« Pardonnez-moi, ils ne vous ennuierons plus de la sorte. » Tâcha t-il de la rassurer.

Le Maître regarda la lueur du jour, qui à chaque minute tombait peu à peu. Le soleil se faisait moins ardent, et il sera bientôt temps pour le Maître de rejoindre son Royaume. «Bientôt», en terme général et théorique. Il se sentait autant lâche que juste en prenant cette décision, mais elle semblait la plus convenue pour arrêter les souffrances de la rouquine. Son cœur regrettait sa décision mais sa voix et son assurance était d'une impassibilité à toute épreuve. Il avait lui aussi souffert et savait cacher ses émotions au plus profond de son être, au point de passer comme un individu sans cœur, mené par le jugement et le devoir. Il la regarda, tenant la promesse de ne plus la regarder comme précédemment, œuvre à laquelle il excella malgré lui.

« Il est temps pour moi de partir. » Commença t-il de sa voix suave et grave. « Prenez tout le repos qu'il vous conviendra, damoiselle. Ce fut indécent de ma part, et je m'en excuse en toute sincérité. » Il pensait arrêter là, mais il reprit finalement. « Vous êtes plus forte que vous ne l'imaginez, ne l'oubliez jamais. »

Il s'imprégna de son odeur, de son visage, de son regard. Il se permit d'ancrer en sa mémoire sa robe si peu commune, aussi flamboyante que le feu, aussi noir que le mystère. Un élixir à l'image de l'hôte de cette enveloppe charnelle.